.Et Mandela répond à son frère d’Afrique du Nord 17 ans après
Mr Mandela « Mandiba »
Ancien président d’Afrique du Sud
A Monsieur Ibrahim Moktar Sarr
Président d’AJD/MR
Chers frère noir d’Afriquedu Nord j’ai bien reçu votre lettre, nous étions trop pris par l’exercice du pouvoir et ce qui suit car l’Afrique du Sudavait plus que besoin de notre présence physique et moral. Mais ce fut un immense plaisir pour nous de recevoir votre lettre. Aujourd’hui dans mon lit d’hôpital j’ai eu enfin le temps de vous répondre et d’apporter aussi quelques petits conseils au combat que vous mener.Nous avons commencé jeune ce combat que nous avons hérité de nos parents. Nous nous sommes donné corps et âmes avec toute la détermination que cela requiert. La fougue de l’adolescence s’y est ajouté l’empressement nous a conduit à commettre des actes de vandalisme pour ne pas dire terrorisme au nom de l’ANC.
Cela nous a valu les remontrances des nos ainés mais aussi a servi d’alibi à nos oppresseurs pour nous mettre en prison 27 années durant. Nous n’avons cependant pas abandonné ni notre combat ni la dynamique de notre mouvement au sein duquel certains leaders m’ont reproché le manque de tact. Nous sommes amélioré, refais, reconstruis puis repris le combat de nos cages et nous avons continué, encore continuer sans jamais s’arrêter mais surtout en suivant notre ligne de conduite.
Nous avons appris peu de chose de la Mauritanie et de l’apartheid qui y réside mais nous constatons que nos frères noirs de l’Afrique du Nord manquent de détermination et de constance dans leur combat et surtout d’inspiration dans leur vision.
L’ANC que nous avons hérité est la mère des mouvements de lutte noire enAfrique mais elle n’a jamais été reconnu, ni accepté par le pouvoir en place dans notre pays et pourtant il m’a été donné de savoir que l’Action pour le Changement dont vous étiez le secrétaire général a pris fin le jour qu’il a été dissout par le pouvoir à l’époque comme si toute votre action dépendait de la reconnaissance par le pouvoir.
De 1912 a 1992 l’ANC a existé malgré la répression mais l’AC n’a pas vécu plus de 10 ans sans la moindre répression et les dirigeants se sont séparés comme s’ils priez d’être dissout par le pouvoir. La différence avec l’ANC c’est que chez nous, nous avons compris que le plus important est nos objectifs communs mais pas nos égos.
Nous avons constaté la même erreur avec les FLAM, avec qui vous avez rédigé le manifeste des negro-mauritaniens opprimés. Votre compagnonnage n’a pas duré et si j’ai une observation à faire de ce manifeste est qu’il présente certes toutes les souffrances de votre peuple noir d’Afrique du Nord mais je me demande à qui il est destiné.
Car nous n’avons jamais attendu du pouvoir d’apartheid qu’il nous libère mais nous avons juré de nous battre jusqu’à être libre car un freedom ne se gagne pas à la loterie et il y’a une grande différence entre un mouvement de lutte et un syndicat.
Je constate alors que nos camarades noirs d’Afrique du Nord comptent beaucoup sur l’oppresseur alors que cela ne devrait pas être le cas. Il faut faire face a vos problèmes et refuser l’oppression jusqu’à ce que l’oppresseur soit obligé de reculer.
Apres plusieurs années de dictature la Mauritanie a vécu un coup d’Etat que certains qualifient de salutaire même si le coup d’Etat n’est jamais la meilleur solution.
Vous avez créé un parti politique, vous étiez candidat à une élection présidentielle transparente où vous avez d’ailleurs obtenu un bon score malgré que 16 mois après le premier président démocratiquement élu de votre pays a été victime à son tour d’un coup d’Etat.
Vous avez alors pris acte (cautionné) et accepté de participer à des élections dont l’objectif et de légitimer le coup d’Etat. l’ANC n’aurais jamais accepté de participer à des élections sans que toutes les conditions de transparence ne soient établies.
Nous avons appris ces derniers mois que vous avez rejoint le pole des partis proche du pouvoir. Ce même pouvoir qui n’a entrepris aucune politique allant dans le sens de changer la situation de votre peuple. Ce pouvoir n’a jamais fait d’effort allant dans le sens d’établir la vérité sur les exactions effectuées pendant les années 90 et n’a jamais montré sa détermination à faire appliquer la loi criminalisant l’esclavage dans votre pays….
Je me passerais de beaucoup d’autres exemples qui vont à l’encontre de la ligne de conduite de l’ANC. L’ANC an sein duquel nous avons milité a refusé tout compromis avec le pouvoir d’apartheid sans le respect complet des droits des noirs dans notre pays. Dans mon lit je me permets de vous donner quelques conseils d’un vieux sage qui attend sereinement son dernier souffle.
- Il ne faut jamais faire de compromis avec l’oppresseur sans avoir la certitude qu’il y’a une véritable volonté de respecter sa parole.
- Apprenez à oublier votre personne si vous décidez de mener un combat pour votre peuple car le peuple est plus important que l’intérêt personnel.
-Ne pleurer plus jamais si on se s’en prend à vous mais battez-vous car cela constitue votre seul salut dans ce bas monde. Un combat comprend des moments où tout le monde vous lâche et un moment ou tout le monde vous accompagne.
Vous avez mon cher cadet d’Afrique du Nord certes beaucoup de détermination mais vous manquer de mobilité. Votre peuple dans le plus profond de lui-même manque de vous comprendre. Pour souligner l’importance de ce fait, chez nous ce ne sont pas quelques dirigeants de l’ANC qui ont fait notre combat mais des femmes et enfants venus de tous les horizons de l’Afrique du Sud.
Personne ne peut mener un combat et le gagner pour un peuple inerte. Aller voir votre peuple et faites tout pour qu’il vous suit car seuls ceux qui sont accompagnés sont des leaders les autres se débattent et s’agitent dans le vide. Je finirais par vous adresser mes vivent salutations et mon soutient absolu mais sans oublier de vous exprimer tout mon optimisme quant à une suite heureuse dans l’immédiat de votre quête de « freedom ».
Johannesburg le 19 Juillet 2013
Dr Ousmane Sy
Source : Plein RIM
Il y a 17 ans Ibrahima Moctar Sarr écrit à Nelson Mandela
Ibrahima Sarr
Secrétaire Général de
Action pour le Changement
Nouakchott
Mauritanie
A
Monsieur Madiba Rohlilahla
Alias Nelson Mandela Président
de la République de l’Afrique du Sud
Prétoria
Madiba,
Je formule le vœu que, celui qui aura la charge de te transmettre cette lettre mesure l’intérêt pour moi et pour tout un peuple ; qu’elle te parvienne et que tu la lises personnellement afin que tu te rendes compte encore une fois, combien tu as raison.
Celui qui t’écrit ces lignes a «bu» UN LONG CHEMIN VERS LA LIBERTE. Il ne t’a que trop compris.
En effet Madiba, même si tu refuses par modestie de te rendre à l’évidence, comme un prophète de notre temps, c’ est toi que DIEU le TOUT Puissant a envoyé pour libérer le peuple sud-africain de la misère humaine dans laquelle l’avait plongé l’intolérance.
Je te tutoie sans effort, Madiba, car ta geste m’a redonné espoir et à chacune de tes lignes, j’ai cru que tu écrivais pour moi, comme tu vas t’en rendre compte. Oui, les Walter et Kathy ont eu raison de te demander de rédiger cette autobiographie. Toi seul pouvais le faire avec autant de sensibilité, autant de simplicité et d’amour du pardon ; mais aussi, avec autant de haine pour l’injustice et l’intolérance.
Je suis né en 1949, trente ans après toi, ma deuxième arrestation a eu lieu le 04 septembre 1986, vingt-deux ans après ta dernière arrestation. J’ai fait seulement le 7è de tes années de prison, c’est-à-dire 4 ans.
En 1974, j’avais été surpris par la police pendant que j’apprenais à lire et écrire dans ma langue maternelle. Alors, j’ai été jugé et j’ai bénéficié d’un non-lieu. Pour ma deuxième arrestation cette fois-ci, j’ai été d’abord enfermé dans la prison civile de Nouakchott où nous avons connu, mes camarades et moi, une période de réclusion totale. Quelques mois avant cette arrestation, une délégation de l’ANC (African National Congress) était à Nouakchott dans le cadre de la popularisation de sa lutte. Tout en la soutenant et devant les autorités mauritaniennes, nous avions crié haut et fort dans la salle : «Dites aux frères noirs d’Afrique du Sud, que l’apartheid existe aussi chez nous !». Nous avions aussi lancé le slogan « Libérez Mandela ! ». La police nous chassa et nous transformions notre débandade en manifestation dans les rues de Nouakchott.
Nous n’avions pas été arrêtés pour avoir créé comme toi, une branche armée des FLAM (Forces de Libération Africaines de Mauritanie). Nous avions seulement rédigé «le Manifeste du Négro Mauritanien Opprimé» : un solide réquisitoire contre la domination des maures blancs (Beydane) sur l’ensemble des noirs de Mauritanie. Nous avions été arrêtés par des Beydane, gardés par des Beydane et jugés par des Beydane et nous étions tous des négro-africains. La sentence maximale pour un tel délit : cinq ans de réclusion totale avec interdiction de séjour dans les principales villes du pays pendant dix ans, en plus d’une amande de 100.000 Ouguiya soit, à l’époque, 1.500 Dollars.
Après un an et demi passé dans la prison de Nouakchott, nous avons été parqués comme des animaux, dans un camion remorque pour parcourir 1.300 Km vers le Nord-Est, dans la région la plus inaccessible du pays. Le Fort de WALATA qui a été rebaptisé par la presse internationale « Mouroir de Walata » a vu périr quatre d’entre nous dont un ancien Ministre, DJIGO TAFSIROU et le célèbre écrivain poète TENE YOUSSOUF GUEYE, qui était par ailleurs mon beau-père et ami. Tous ces décès dus aux mauvais traitements et une mauvaise alimentation ont eu lieu en l’espace de 8 mois seulement, après notre arrivée au fort.
Devant la réaction de la Communauté internationale et les ONG des droits de l’Homme d’une part, et l’emballement de la presse de l’autre (presse qui annonçait au fur et à mesure les décès, parfois sans fondement d’ailleurs, comme par exemple ma propre mort, provoquant ainsi un grand émoi parmi mes confrères journalistes africains qui me connaissaient bien), le Gouvernement s’est vu obligé de nous transférer à un endroit plus clément et plus accessible à près de 900 km de Nouakchott, au Fort de AIOUN EL ATROUSS. Mais, à cette même période, un grand drame attendait notre peuple. A la faveur d’un conflit avec le Sénégal, pays voisin accusé par l’Etat mauritanien de supporter notre cause, notre pays fut plongé dans une épuration ethnique sans précédent où la police à côté de groupes de Beydanes racistes massacra des centaines de noirs, tout en déportant plus de 60.000 autres vers le Sénégal et le Mali. Après la défaite de Saddam Hussein dont il était parmi les rares soutiens à travers le monde, le gouvernement mauritanien fut enfin obligé de nous libérer après quatre années de détention. La Mauritanie était en ce moment isolée diplomatiquement.
Madiba,
Moi aussi je suis né dans un petit village au bord du fleuve. J’ai connu les mêmes joies d’une enfance sans soucis, une enfance de liberté malgré la rigueur d’un père très fier et autoritaire, un vieux rescapé de la première guerre mondiale qui nous a malheureusement quitté très tôt. J’ai été à l’école des blancs après l’apprentissage de quelques versets du Coran et l’initiation par la circoncision au village presque dans les mêmes conditions que tu as merveilleusement décrites. Comme toi, j’ai eu un premier mariage qui m’a donné deux filles. J’ai connu un deuxième mariage avec la fille de TENE YOUSSOUF GUEYE, qui a dû supporter toute seule les années difficiles de mon incarcération comme le faisait en son temps WINNY MANDELA.
Je suis journaliste de RADIO et TELEVISION, et c’est moi qui ai fait démarrer les premières émissions de Télévision de Mauritanie pour être le premier journaliste mauritanien formé dans ce domaine à L’Université de DAKAR (Sénégal). J’ai connu beaucoup de gloire dans ce métier en Mauritanie et à travers le monde où mes différents reportages ont pu me conduire. Ainsi, avant mon arrestation, en plus de l’Afrique, j’ai visité l’Europe, l’Amérique du Nord (USA, CANADA) et l’Asie (COREE DU SUD). J’ai également eu beaucoup d’amertume du fait de la politique raciale de mon pays qui m’empêchait de m’exprimer comme je pouvais et surtout, devais le faire.
Moi aussi j’ai connu en prison ces moments d’angoisse et de tristesse mêlés à un certain sentiment de culpabilité, quand je pensais à ma vielle mère, restée toute seule au village, sans assistance. Et je me suis posé les mêmes questions que toi : avais-je raison de l’abandonner ainsi en me consacrant entièrement à la lutte pour la libération du peuple, elle et mes filles qui n’ont presque pas connu leur père ?
A ma libération, je suis allé la voir au village. En route, je priais DIEU de faire en sorte qu’elle soit la première à me voir et me serrer dans ses bras (chez nous cela est permis). Quand je suis arrivé dans notre concession personne n’avait remarqué ma présence ; il faisait nuit et le village dormait. Ma mère elle, ne dormait pas elle était assise face à l’Est, comme dans les moments de prières pour les musulmans. Lorsque je l’ai approchée et décliné mon identité, elle a simplement appelé les voisins au secours exactement comme l’avait ta maman qui t’avait pris pour un fantôme à ton retour de clandestinité! Dix minutes après, tout le village a dansé jusqu’au petit matin, pour le retour du mort parmi les vivants…
Malgré l’amnistie décrétée par le gouvernement qui éteint ainsi tout notre passé délictuel aux yeux de la loi, et malgré la décision du chef de l’Etat le Colonel MAOUIYA, responsable en chef de toutes les exactions décrites, de faire revenir le pays à un régime civile après une parenthèse de 12 ans de dictature militaire, ma situation administrative comme celle de tous mes anciens camarades de prison n’a pas changé. Nous n’avons pas été réintégrés dans nos fonctions respectives. Nous n’en continuons pas moins notre lutte par les moyens qui sont à notre disposition. En fait, la démocratie amorcée depuis 1991 et qui a permis à MAOUIYA de se faire élire par la force et la fraude, appuyé par les puissances occidentales qui ont des intérêts solides dans la pêche et les mines de Mauritanie, cette démocratie donc, ne nous donne que la «liberté» de dire tout haut, ce que nous avions écrit dans la clandestinité et qui nous avait valu la prison et la mort en détention.
Le mouvement que nous avions créé en 1983, les FLAM (Forces de Libération Africaines de Mauritanie) est une fusion de trois autres organisations clandestines : l’UDM (Union Démocratique Mauritanienne) que certains amis et moi-même avions mis sur pied en 1979, l’ODINAM (Organisation pour la Défense des Intérêts des Négro-africains de Mauritanie) et le MPAM (Mouvement Populaire Africain) qui sont des dissidences de l’UDM. Les FLAM ont connu les mêmes dissensions internes, et les mêmes tentations aux extrêmes que l’ANC dans ses rapports avec le P.C le PAC ou Conscience Noire.
Moi aussi j’ai combattu ces tentations dans les rangs du mouvement. Je me suis opposé à des actions que j’estimais suicidaires. J’ai refusé de cautionner une grève de la faim en prison exactement comme tu l’avais fait.
C’était pour ma part beaucoup plus pour des raisons religieuses. En tant que musulman je considérais que nous n’avions pas le droit de détériorer volontairement notre santé ce qui peut entraîner la mort et constituer ainsi un suicide, chose que l’Islam proscrit.
En lisant ton autobiographie, j’ai mesuré ton courage qui frise la témérité. Moi je ne suis pas assez courageux à mon goût.
Je trouve que souvent la chance sinon la protection de DIEU a été au rendez-vous avec toi.
D’après ton récit tu n’as jamais été physiquement brutalisé par les geôliers. Lorsque à WALATA un des nôtres qui protestait contre les chaînes que nous portions aux chevilles et qui nous écorchaient la peau, a dit au commandant du Fort que cette situation lui rappelle la traite négrière, il a été ligoté et couché sur le ventre et battu à sang. Il n’était pas question de tribunal pour nous en prison. Nous n’avions aucun droit. Nous n’avions même pas des devoirs, nous étions seulement obligés et contraints sous peine de tortures. Je dois dire à la décharge des racistes sud-africains qu’eux au moins, étaient respectueux des lois qu’ils avaient adoptées ; même si elles sont d’essence raciste. Ce n’est pas le cas en Mauritanie. Les juges ne jugent pas, ils prononcent le verdict déjà décidé par les autorités – les avocats sont parfois mis dans l’impossibilité de plaider.
Madiba,
Aujourd’hui je suis le Secrétaire Général (2ème personnalité) du Parti Action pour le Changement (AC) qui regroupe toutes les communautés ethniques du Pays. Le Président du Parti est un descendant d’anciens esclaves de Beydanes (blancs). La communauté dont il est issu a été longtemps asservie par les Beydanes (blancs),La Mauritanie n’a aboli officiellement l’esclavage qu’en 1980. Mais aujourd’hui cette pratique inhumaine existe encore dans le Pays. Ces anciens esclaves (haratines) représentent plus de 40% de la population. Ils sont les moins instruits les plus exploités et les plus opprimés de la société mauritanienne ; car, certains d’entre eux trouvent toujours normal de travailler pour le maître blanc. Il parait que « cela ouvre les portes du paradis »… En effet, une fausse interprétation de l’Islam favorise la pérennité du système. Ce sont ces maîtres blancs qui représentent selon certaines statistiques non officielles moins de 30 % de la population, qui utilisent les haratines pour s’attaquer aux autres noirs – (les Pulaar, Wolof et Soninké)- Ils l’avaient déjà fait en 1966 et l’ont réédité en 1989-1990.
Notre Parti, Action pour le Changement a décidé de régler cette question nationale et sociale de manière définitive dans le cadre d’un projet de société qui donne toute sa place à l’Homme, sa liberté et aux valeurs de l’humanité. AC est devenu en moins de deux ans d’existence le principal parti d’opposition au régime chauvin et dictatorial. Il inquiète les tenants du système qui cherchent par tous les moyens à neutraliser ses dirigeants ou à l’interdire.
Les Beydanes (blancs) contrôlent toute l’économie du pays, toute l’administration, l’armée et les forces de sécurité, l’appareil judiciaire.
Nous avons dû, mes camarades et moi, faire preuve de beaucoup de patience et de tact politique pour faire accepter les idées que nous avions toujours défendues par certains groupes politiques maures blancs. Ils ont accepté de signer avec nous la Charte du Front des Partis d’Opposition pour combattre le régime qui s’agrippe à ses privilèges, et instaurer un système plus humain parce que solidaire et démocratique.
Madiba,
Dans mon salon, traîne une belle photo de toi, car je pense que les africains n’ont plus besoin d’aller chercher un modèle. Tu incarnes toutes les luttes pour la libération de l’homme et des peuples. Tu es l’espoir du dialogue humain et le symbole vivant de la capacité de l’homme africain à réaliser les rêves impossibles.
Je sais que la plus grande lutte pour toi, a commencé dès ta libération. Que l’unité de notre continent, seul moyen de lui faire jouer son rôle historique, est aujourd’hui ta préoccupation essentielle.
Je te demande d’être attentif à notre lutte ici en Mauritanie et d’apporter ta contribution en tant que combattant pour la liberté et en tant que Chef de l’Etat le plus puissant d’Afrique, pour que le racisme et l’esclavage disparaissent à jamais de mon Pays.
Baba Mall, le musicien Sénégalais que tu as reçu récemment est un vieil ami. Il a repris dix de mes compositions poétiques. Ses chansons avaient été interdites de diffusion, lui-même déclaré persona non grata en Mauritanie à cause de notre amitié.
J’ai décidé de reprendre « UN LONG CHEMIN VERS LA LIBERTE » sous forme d’un récit oral dans ma langue maternelle le Pulaar (fulfuldé) parlé de la Mauritanie au Nigéria. Je veux le faire sous forme de cassette audio. Cela permettra à beaucoup de gens qui ne savent pas lire, de bien connaitre l’histoire d’un certain Rolihlahla de Mvezo le fils de Gedla Henry Mphakanyiswe et de Nozeki Fanny.
Longue vie a toi !
Nouakchott, le 16 mai 1996
Khadiata Malik DIALLO : La perle de la Gauche au pays de la Droite
La députée du parti de l’Opposition « Union des Forces de Progrès, UFP », Khadiata malik DIALLO, est l’une de ces mains douces aux griffes acérées et tant redoutées par le pouvoir en Mauritanie. Les critiques acerbes de ses détracteurs n’intimident guère cette princesse africaine qui continue à porter haut le flambeau de la défense des libertés sous la coupole du Parlement National. Ayant su s’opposer aux régimes totalitaires tout en gardant ses distances de la droite négro-africaine extrémiste anti-beydane, elle a développé un discours de destructuration des dictatures en évitant le piège de la stigmatisation et des particularismes ethniques.. Devenue une icône de la gauche dans un pays dominé par les forces rétrogrades, chauvines et à visées étroites, elle a su conserver un tentaculaire réseau dont les ramifications se retrouvent dans tous les courants politiques du pays.
En temps de crise, la vie de cette femme se transforme en un foisonnement d’activisme à la limite du compulsif. Des dizaines de dossiers sous le coude. Des changements à hâter ou à initier. Des initiatives à lancer. Des revendications à formaliser. Celle qui se prend pour la « voix du peuple » ne s’accorde alors aucun répit.
Le jeudi 17 novembre, nous avions rendez-vous avec Khadiata. La dame est douée d’une époustouflante clarté de vision. Elle est capable d’analyser avec la même finesseaussi bien la situation de l’Opposition que celle de la Majorité.
Ce jour-là, elle devait mettre les dernières touches aux préparatifs d’un déplacement à Atar et Akjoujt où son parti, l’UFP, devait organiser une activité. Il y avait aussi, le même jour, la réunion de la Coordination de l’Opposition Démocratique (COD) où devait s’organiser la passation de service entre Mahfoudh Ould Bettah, président du Parti du Forum Démocratique, et Mamadou Alassane, président du Parti de la Justice, de l’Egalité et de la Liberté. Dans le même temps, Kadiata Malik Diallo devait, en tant que mère de famille, donner des instructions et prendre des dispositions pour que ses enfants puissent palier son absence de quelques jours. Malgré tout cela, la Députée a trouvé le temps pour deviser avec nous à bâtons rompus au volant de la « VX » qu’elle conduit tout en répondant à de multiples appels téléphoniques.
Khadiata Malik DIALLO : La perle de la Gauche au pays de la Droite/ Errabii Ould IDOUMOU
Khadiata Malik DIALLO est née en 1959 à M’Bout (Wilaya du Gorgol) dans un milieu de cultivateurs dont elle a gardé la certitude qu’on récolte toujours ce qu’on a semé. Avec des champs en guise de terrain de jeu, elle inscrit dans sa mémoire le besoin des horizons dégagés et l’amour des grands espaces.
C’est pendant cette période de sa vie que se formera son rêve mauritanien. Elle se rappelle avoir grandi et étudié dans des écoles où se côtoyaient des enfants de toutes les ethnies (H’ratine, maures et négro-africains). Aucune différence liée à l’origine ethnique ne constituait véritablement un obstacle. Tout au long d’une vie politique riche en événements parfois douloureux, elle apprendra que les choses ne sont pas toujours aussi angéliques : « en ces temps-là, nous étions tous les fils de la Mauritanie. Il n’y avait pas de différences entre nous. Après il y aura beaucoup d’extrémisme », nous dit-elle.
En 1983, Kadiata décrocha son baccalauréat, haut la main, en Sciences Naturelles.Elle accéda alors à l’Ecole Normale Supérieure (ENS) d’où elle sortira professeur de l’enseignement secondaire. Elle servira pendant 20 ans sans bénéficier de la moindre promotion de la part des services de l’Education Nationale. Mais Kadiata ne se laissa pas démoraliser. Les générations de Mauritaniens qu’elle forma de son mieux suffirent à faire son bonheur ; une rétribution qui compense largement le manque de reconnaissance de l’administration de tutelle.
1989 : massacres pour cause de couleur de peau
Les années de l’après-bac à l’ENS furent aussi celles du militantisme associatif. Kadiata adhéra à l’Association pour la Promotion de la Langue Pular en Mauritanie. Ils étaient des dizaines de jeunes patriotes à s’être fixé comme objectif de développer les langues nationales. Ce fut l’époque des premiers pouvoirs militaires. Pour des dizaines de militants progressistes de toutes origines, la clandestinité était le seul choix pour exercer l’action politique. Objectif : préserver l’unité nationale en promouvant l’égalité des citoyens et en combattant les idées d’exclusion et de racisme. Pour Kadiata, ce fut la porte d’entrée dans une arène politique qui ne lui procurera pas que des motifs de joie.
Aux côtés de son mari, ex-ingénieur en télécommunication et actuel syndicaliste à la CGTM (Centrale Générale des Travailleurs Mauritaniens), et avec leurs quatre enfants (deux filles et deux garçons) et sa grande famille rurale, la députée de gauche, arrive à mener son combat politique en dépit de tout : « au sein de ma grande famille, il y a toujours quelqu’un pour me remplacer auprès de mes enfants. Mon mari m’encourage et m’aide énormément dans mon travail politique », aime-t-elle à affirmer.
En 1989, Kadiata fêtait ses trente ans et rêvait de sa Mauritanie, joyau du Sahara et terre du brassage des cultures. Ce fut sans compter avec les lugubres forces du malet un régime politique qui dressa les « Blancs » contre les « Noirs » comme s’il pouvait monter le « blanc de l’œil » contre sa pupille. Kadiata verra de ses propres yeux les Noirs de Mauritanie se faire massacrer par centaines, passés à l’arme blanche, mutilés sur des places publiques. Sans aucune appartenance politique, sans même être militants ou activistes, les Noirs furent massacrés juste parce qu’ils étaient Noirs.
A la suite de ces terribles événements, et en réponse au chauvinisme des Arabes, la droite extrémiste négro-africaine se déchaîna. Kadiata Diallo perdit, dans cette bataille, nombre de ses illusions de jeunesse. Elle vit se dissoudre sa naïveté mais continua, comme à une planche de salut, à s’accrocher à l’idée que les Arabes et les Noirs de Mauritanie appartiennent à un espace commun et doivent construire une communauté de destin. Dans l’immédiat, le plus urgent fut de ne pas céder aux sirènes de l’extrémisme. C’est ce qu’elle fit. Elle répétait à qui voulait l’entendre que le régime d’Ould Taya était en train de briser le socle de la Mauritanie. Que ce qui venait de se passer s’apparentait au génocide, que c’est un crime contre l’humanité mais que le seul responsable était le régime en place qui avait armé, harangué et laissé les hordes de tueurs sévir contre des populations sans défense.
Kadiata encaissera un autre coup. La droite négro-africaine l’accusa de trahison. Elle fit face à ces calomnies et continua à dénoncer les tueries dont furent victimes les Négro-africains en pointant du doigt le véritable responsable. Elle ne versera jamais dans les accusations pour responsabilité collective trop facilement distribuées par la droite négro-africaine. C’est la ligne qui sera défendue par une élite éclairée parmi les intellectuels mauritaniens et qui finit par devenir la seule lueur d’espoir qui continuait à briller pendant la longue nuit du régime de Ould Taya.
Et la « perle de la gauche » d’ajouter : « La plupart des Négro-africains considéraient que tous ceux qui continuaient à fréquenter les Arabes étaient des traitres à leurs ethnie. Ce fut un défi que je ne suis pas près d’oublier. Certains Arabes nourrissaient ce sentiment en utilisant l’Administration pour étaler leur racisme anti-Noir. Mais le crime et les massacres étaient du fait du régime, d’un régime militaire gangréné par une haine raciale viscérale. Notre rôle en tant qu’hommes ou femmes politiques est de panser les plaies et rapprocher les gens ».
Kadiata Malik Diallo considère que parmi les séquelles tragiques des « événements de 89 », il y a le problème des déportés. Il existe deux catégories de déportés :
1- Ceux qui ont été déportés au Sénégal. Certains d’entre ceux-ci sont rentrés récemment dans le cadre d’un plan gouvernemental. Ce plan comporte de nombreuses injustices. Ces déportés retournés au pays sont privés de leurs droits. Par exemple, les enseignants, parmi eux, sont rentrés sans droits. Les 20 ans qu’ils ont passés dans les camps de déportation ne leur sont pas reconnus. A leur retour, par exemple, ils ont trouvé que leurs collègues, qui étaient de la même promotion qu’eux sont maintenant des directeurs ou des chefs de services alors qu’eux sont toujours maintenus aux premiers échelons. Ce n’est pas juste. Il en reste encore 5000 dans les camps au Sénégal ;
2- Ceux qui sont au Mali. On parle rarement de ceux-là. Il s’agit d’habitants, essentiellement, du Guidimagha, qui avaient fui les milices armées par le gouvernement de l’époque pour tuer les Noirs. Ils sont estimés entre 10 et 12 mille, selon les données du HCR (Haut Commissariat aux Réfugiés). L’Etat feint de les ignorer.
Le coup d’Etat d’Aziz a ramené le pays loin en arrière
Madame la Députée estime que la Mauritanie a connu une période riche en réalisations et qui a marquél’histoire. Il s’agit de l’année 2005. Ce fut l’année où Ely Ould Mohamed Vall mit fin aux années noires d’Ould Taya et où les forces de l’Opposition obligèrent le nouveau régime à mener à bien la transition démocratique. Des journées de concertation ont été organisées et avaient débouché sur de très importantes recommandations. Mais l’arrivée d’Ould Abdel Aziz, huitième président de la Mauritanie et sixième issu de l’institution militaire, fut une véritable catastrophe. Aziz opéra un coup d’Etat la 6 août 2008 contre le président Sidi Ould Cheikh Abdallahi à la suite de son limogeage par ce dernier de la tête du bataillon de la garde présidentielle. Pour Khadiata, Ould Abdel Aziz est un militaire démagogue, arrivé au pouvoir par des élections que l’Opposition continue à qualifier de douteuses. Ce putschiste avait bafoué la Constitution ainsi que nombre de résolutions de l’Union Africaine qui criminalisent la pratique des coups d’Etat et en privent les auteurs de toute éligibilité. Elle considère que : « c’est un homme qui bâillonne les libertés, qui contourne le Parlement à chaque fois que les décisions revêtent un caractère économique. Il oblige, maintenant, l’élite de ce pays à réfléchir au moyen le plus efficace pour provoquer un changement véritable qui ramène les choses à leur cours normal ».
Et la Députée de continuer : «l’Opposition se tromperait en pensant que le Pouvoir lui laissera les coudées franches. Nous avons, au niveau du Parlement, posé de vraies questions.
Il nous reste à aller au contact des populations et à canaliser les mécontentements populaires. Nous avons besoin, pour cela, d’avoir le souffle long et de persévérer. Le nouveau président de la Coordination se doit de nous mener dans cette direction. L’Opposition a perdu beaucoup de temps dans ses divisons internes. Si le précédent président a dépensé beaucoup de temps à rapprocher certains partis de l’Opposition en essayant de ne pas en perdre au passage, le nouveau hérite d’une Coordination homogène, avec une vision claire et dont tous les membres sont résolus à en finir avec les pouvoirs militaires et le régime des généraux. L’Opposition véritable a repoussé l’offre de s’engager dans un dialogue à l’issue incertaine et aux préalables mal définis. Il lui reste à arranger ses affaires internes et à faire bouger la rue contre le régime dictatorial. »
Pour Khadiata Malik DIALLO, il est indispensable d’établir un plan d’action clair qui s’inscrive dans la légalité mais garantisse la mobilisation des populations autour des revendications maintes fois exprimées notamment autour des risques de sécheresse que le Gouvernement a longtemps occultés avant de se rendre compte que le pays est au bord de la famine.
La malédiction du racisme
Khadiata n’oublie jamais que nombre de nos concitoyens sont victimes des clichés et stéréotypes colportés sur telles ou telles composantes de notre société. Les régimes autoritaires raffolent de ce genre de pratiques et les encouragent. La Députée conclue :« dans mon travail de députée, je souffre régulièrement de pratiques racistes et ségrégationnistes. Je suis connue. Je n’hésite pas à exhiber ma carte de parlementaire. Pourtant, il y en a qui me mettent des bâtons dans les roues et pratiquent à mon encontre le racisme le plus cru. Si moi, députée jouissant d’une certaine immunité, suis victime du racisme et de la discrimination, qu’est ce qu’il en serait des Négro-africains simples citoyens ? Ils doivent certainement en baver. ».
(Errabii Ould IDOUMOU, traduit avec le concours de Kassataya.com)