Extrait : Roumouz El Vessad : La gabegie en symbole
Un fameux « x ould y » en dénombra 500 et la liste est encore sur son blog. Une liste qui suscita maints remous et réponses. Certains s’y retrouvèrent d’autres pas. Certains s’en offusquèrent d’autres pas, mais toujours est-il que le fait existe (« la gabegie ») et que ceux qui l’ont accompli (« Roumouz ») sont toujours là.Combien sont-ils ? Qui sont-ils ? Où sont-ils ? Autant de questions qui taraudent l’esprit et qui ne laissent pas indifférents ceux qui tiennent à ce que la question cruciale de la dilapidation des biens publics soit résolue. Mais elle ne devrait pas cacher une autre préoccupation non moins importante : celle de préserver la dignité et l’intégrité morale de ceux qui injustement pourraient être qualifiés de « roumouz el vessad ». Aussi une préoccupation majeure s’impose : cerner le contenu de cette appellation non contrôlée et de définir ce concept aux fins de protection des droits de chacun.
« Roumouz el vessad », littéralement « symboles de la gabegie »,exprime en arabe dans la forme masculin pluriel une collection d’individus qui tous se partagent à des degrés divers la commission d’infractions. « Roumouz el vessad » est un appellation fort utilisée qui a pris son essor avec les dénonciations publiques d’infractions par la presse écrite et sur le net.
Comment donc cerner cette notion si ce n’est par des approches éloignées d’une subjectivité populaire fort légitime qui ne s’expliquerait que par tant d’années de dilapidations de biens publics au vu et au su d’un peuple laissé pour compte.
Une approche économique d’abord, une approche sociologique ensuite et une approche juridique enfin nous permettrons de mieux cerner cette notion, de l’appréhender et de pouvoir mieux identifier ceux qui en sont couverts.
I- L’approche économique : L’overdose d’un enrichissements sans cause
Roumouz el vessad et l’Etat : L’enrichissement sans cause
Tout un chacun est conscient de ce que la gestion de l’Etat, c’est -à-dire de la « chose publique » a donné durant ces trente dernières années. Une infrastructure délabrée, un peuple affamé, une économie en décroissance réelle et une classe super-opulente et qui s’est enrichie sans cause. Il est connu qu’économiquement une personne ne peut s’enrichir légalement que de trois façons :
- Par le travail (physique ou intellectuel)
- Par l’héritage (attendu ou exceptionnel)
- Par le gain inattendu ( dons ou jeux de hasard)
Nulle autre forme d’enrichissement matériel n’est possible à moins de trouver sa source dans l’illégalité à savoir :
- Le vol
- Le détournement de fonds publics ou privés
- La concussion et la malversation
- La corruption
Or depuis quelques années en Mauritanie, l’enrichissement fulgurant d’une certaine classe à travers certaines personnes aux revenus de fonctionnaires qui se sont mises à bâtir des châteaux est l’expression immédiate d’un enrichissement qui trouve ses explications ailleurs que dans leur revenu.
Pour être plus pratique prenons un exemple concret : le revenu d’un fonctionnaire de l’Etat. Un fonctionnaire de l’Etat qui occupe un poste de directeur général, par exemple suivant la grille salariale de la fonction publique mauritanienne, il recevrait au titre de ses émoluments environ 400 000 UM et poussières.
Or ce fonctionnaire possède deux villas cossues d’une valeur estimées à 250 millions d’ouguiyas chacune de deux tout-terrains d’une valeur estimée à 90 millions d’ouguiyas d’un troupeau de chameaux de 75 têtes d’une valeur moyenne de 50000 UM par tête et qui a inscrit au nom de sa conjointe trois terrains de 800 m² viabilisés dans une zone résidentielle estimés à 300 millions d’ouguiyas et qui possède deux boutiques au marché central et un dépôt loué à une entreprise publique pour une valeur globale de 345 millions d’ouguiyas et d’un dépôt en compte bancaire enregistrant des opérations commerciales estimées en moyennes à 100 millions mois sans compter les intérêts afférents…. Et biens d’autres biens en or et en argent occultes dont l’estimation reviendrait à recenser le patrimoine de sa conjointe et de ses enfants.
Tout cela accumulé au service de l’Etat avec un salaire annuel net de 5 millions d’ouguiyas (448 000 UM/mois). Soit 100 millions en vingt ans. A supposer même que ce fonctionnaire ait conservé l’intégralité de son salaire en vivant d’amour et d’eau fraiche , aurait-il pu réaliser une telle fortune ?Le bons sens nous dit bien que non. Car pour y arriver ii aurait dû thésauriser l’intégralité de son salaire , jeûner nuit et jour jusque-là et cela pendant un peu moins de cinq siècles ! Soit exactement 487 ans et 7 mois ! En effet sa fortune étant estimée à 2 milliards, 438 millions et 750 000 UM de la diviser par son salaire annuel net (soit 5 millions) pour avoir cet ordre de grandeur .
Ainsi économiquement chaque « ramz el vessad »a pris au pays un part de son avenir et a hypothéqué son futur. 5 siècles, 4 siècles, 3 siècles … chacun des roumouz el vessad peut être qualifié économiquement par le nombre d’années d’investissement et de croissance qu’il a volé au pays et qu’il a investit dans ses biens personnels. Au niveau des départements ministériels 2 milliards, 438 millions et 750 000 UM c’est :
- quasi-équivalent au budget de tout le ministère de la justice pour 2008 (soit exactement 2 250 869 358 M)
- trois fois supérieurs au budget 2008 du ministère du commerce et de l’industrie (soit 784 879 520)
- Cinq fois le budget du ministère de l’artisanat et du tourisme (soit 523 115 277 UM)
- La moitié de celui de l’agriculture et de l’élévage (Soit 4 895 793 872)
- Supérieur au budget 2008 du ministère de la fonction publique et de la modernisation de l’administration
- Etc.
C’est ainsi qu’un individu a pénalisé( au sens propre et figuré) par ses actes tout un système judiciaire (en privant les juridictions et leurs magistrats de leurs moyens et en les poussant vers la corruption). C’est ainsi qu’un individu par ses détournements a privé toute une économie des moyen de son intervention commerciale et industrielle et des moyens financier de sa croissance.En matière de santé, 2 milliards, 438 millions et 750 000 UM, c’est :
- Plus de 4 fois le budget 2008 du Centre Hospitalier national de Nouakchott ( qui s’élève à 562 951 980 UM) !
- 13 fois le budget 2008 du Centre hospitalier de Nouadhibou ( 180 697 680 UM ) !
- Et c’est une trentaine de fois le budget des autres centres hospitaliers du pays (kaedi, néma, kiffa…)
Et l’on comprend pourquoi par manque de moyens les hôpitaux sont des mouroirs du fait justement de ceux qui ont mis leurs budgets (de soins de médicaments et de traitements) dans la pierre des villas cossues et dans leurs comptes..Au niveau de l’Education nationale, 2 milliards, 438 millions et 750 000 UM, c’est :
- Un peu moins du budget 2008 de l’Université de Nouakchott ( 2 770 633 391 UM)
- le budget des écoles d’application 7 et 8 de Nouakchott (4 400 000 UM) pendant 554 ans !
- etc. etc…
Les exemples peuvent être multipliés sur l’impact économique et financier de ce que les « roumouz el vessad » ont coûté à la Mauritanie. Chacun d’entre-eux est porteur d’une responsabilité dans le retard économique de notre pays. Et c’est sur cette base économique que leurs actes se doivent d’être appréciés.Rouz el vessad et la drogue : l’enrichissement par overdose
Jusque-là l’enrichissement des roumouz el vessad a été appréhendé sous l’angle du détournement des biens publics, de la concussion, de la malversation etc, en somme sur le « vol» au sens générique du terme.
Ceux qui se sont enrichit de cette façon peuvent être qualifiés de « Roumouz el vessad » de premier niveau ou primaires. Ils se sont servit dans les caisses de l’Etat. Par contre une seconde catégorie recoupe la première sans ce pendant se confondre avec elle et qui, elle, s’est enrichit en se servant de l’Etat. Cette catégorie peut être qualifiée de second niveau, secondaire.
Les roumouz el vessad se conçoivent en deux couches superposées et qui interfèrent à travers notamment la circulation de l’argent, son blanchiment et son intégration dans leur patrimoine ;
C’est ainsi que dans les « roumouz el vessad » primaires on retrouve :
- des fonctionnaires influents (sécurité, douanes..) se servant à travers les détournements de projets ou de budgets confiés, la corruption et les passe-droits qu’ils délivrent.
- Des commerçants (de gros notamment) se servant à travers les appels d’offres qu’ils obtiennent à coup de corruption et de connivence et la logistique qu’ils offrent pour couvrir leurs actes.
Dans les « roumouz el vessad » secondaires on retrouve :
- Des fonctionnaires (civils et militaires) et agents publics (à tous les points du territoire et dans l’administration centrale) toutes catégories confondues qui sont tenus dans le secret des transactions occultes qui traversent le territoire et dont ils facilitent l’acheminement et qui reçoivent en contrepartie rémunération.
- Des commerçants qui ont mis au service de ces transactions leur logistique portuaire et de transport et qui bénéficiaient de protections institutionnelles et qui reçoivent en contrepartie leurs entrées et leurs passe-droits.
Ainsi la récente enquête effectuée par « Interpol » a mis en évidence une interaction très importante entre les pouvoirs publics et le réseau de trafic de stupéfiants en Mauritanie. Une enquête dont la dimension est telle qu’elle achoppe encore sur plusieurs blocages qui restent à lever.Toujours est-il que les « roumouz el vessad » qui se sont enrichis à travers l’overdose des populations en Mauritanie, dans la sous-région et au-delà, on drainé un argent qui a servi à la corruption et au trafic d’influence. Leur rôle dans la dénaturation du jeu politique en Mauritanie à travers leur poids financier n’est pas négligeable.
Enfin si l’on additionne tout ce dont la Mauritanie a été « siphonnée » financièrement durant ces trente dernières années cela se chiffrera à des centaines de milliards. Tant d’années perdues sur la route de développement, Tant de vies humaines mortes par défaut d’un système sanitaire adéquat, Tant de jeunes sans travail par manque d’éducation, tant de misères par manque de moyens qui sont allés choir dans les comptes de quelques individus sous la bénédiction de l’Etat.
20 ans, dix ans, 5 ans de retard économique cela compte dans la vie d’une nation. Tout est de savoir comment le rattraper en réintégrant les biens volés à la nation. C’est alors que l’approche sociologique et l’approche juridique peuvent aider à mieux cerner les choses.
II- L’approche sociologique: la gabegie une exclusivité nationale.
En Mauritanie, « tout se sait ». Cette formule résume en fait un système d’information, qui fait que les mauritaniens sont proches d’une information politique dont ils ont fait, durant ces dernières années de plomb, un « additif » à leur fade quotidien. Et les « Roumouz el vessad » sont un assaisonnement au goût amer dont pourtant ils savent s’entretenir. Ainsi, s’est constituée une perception populaire de ces symboles de la gabegie. Une perception qui nous renseigne utilement sur ce que ces personnes peuvent être réellement.
Il est unanimement admis que les roumouz el vessad sont des mauritaniens. Des nationaux. On ne retrouva pas des roumouz qui seraient des étrangers. Tous les roumouz el vessad sont des enfants du pays. La gabegie une exclusivité nationale.
Les roumouz el vessad sont soit au pouvoir, soit tournent autour du pouvoir. IL n’ ya pas de roumouz el vessad en dehors du système étatique. Ils sont soit fonctionnaires soit acteurs économiques ou financiers en interaction avec ce système. La gabegie une affaire d’Etat.
Les roumouz el vessad ont leur terrain de prédilection. Ils se regroupent quasiment tous dans une aire géographique bien déterminée : Tevragh Zina et les environs immédiats. La mémoire populaire n’en recense pas un du côté de « netegh jemba », quartier fort célèbre mais déserté par le roumouz.. La gabegie a son espace d’épanouissement.
Les roumouz el vessad font étalage de leurs richesses, notamment à travers leur progéniture qui sillonne en tout-terrains rutilants le parcours la corniche-le palais des congrès jusqu’aux lumières vespérales. La gabegie laissée en héritage.
Dans la perception populaire donc les roumouz el vessad sont des nationaux qui ont pillé l’Etat qui logent dans les quartiers résidentiels et qui ont un train de vie ostensiblement riche.
Aussi dans la perception populaire c’est une richesse qu’ils n’ont pas mérité et qui génère une sourde animosité. Une animosité latente qui s’exprime dans les foyers des pauvres gens à l’occasion d’évènements ou de nominations relatés dans l’entourage ou dans le medias. « Ah celui-là, ou celle-là… il ou elle a pillé le projet public tel ou s’est approprié le budget de tel établissement ou a détourné le financement ou les vivres destinées à telles populations ou a vécu d’une corruption notoire sur les marchés publics ou sur les conventions de prêts ou de prospection minéralières ou les licences de pêche ou s’est appropriés pour s’enrichir les cachets de la douane ou les passe-droits du ministère de l’économie ou des finances etc. etc. »
Et l’on cite des noms et des qualités et souvent certains noms, tant ils reviennent pour les mêmes faits, génèrent une forme d’unanimité qui ressemble étrangement à un verdict populaire de condamnation sans retour. Et si les preuves matérielles nécessaire à toute justice restent nécessaires, il n’en demeure pas moins que pour le peuple beaucoup de monde est déjà les grilles de sa conscience.
Mais la conscience populaire est-elle suffisante pour qu’une qualification si grave puisse être donnée à quiconque sans passer par la justice de l’Etat ? Et si cette justice se devait d’être appliquée, comment peut-elle s’y prendre pour que ceux que le peuple qualifie de « Roumouz el vessad » puissent rendre compte de leurs actes sans porter préjudice à ceux qui ne le sont pas ? C’est là où l’approche juridique prend tout son sens.
III- L’approche juridique : des symboles à qualifier
De l’énumération à la définition
S’il est vrai toutefois que cette appellation a un objet réel, elle n’a jamais bénéficié d’une approche juridique rigoureuse qui permettrait de la placer dans le champ de l’objectif et du saisissable. Cette appellation se fondait sur l’énumération pas la définition. Ainsi Roumouz el vessad c’est davantage une liste de personnes tenues pour telles, à travers une accusation, des faits avérés ou non, des actes notoires ou des présomptions qui prennent leur sources dans l’objectivité mais aussi dans la subjectivité. Cette liste est d’autant plus accusatoire que deux arguments militent matériellement en sa faveur .
D’abord un argument politique : la plupart de ceux qui y figurent ont été au pouvoir, durant le régime précédent dans son giron ou en furent des instruments directs ou indirects, ensuite un argument socioculturel : « En Mauritanie, tout se sait, tout le monde se connait »
Si la liste tire sa source d’un argumentaire sociopolitique qui n’est pas sans intérêt du point de vue du droit et des obligations notamment en matière procédurale (établissement de la preuve) il reste que l’ identification sur la base de critères juridiques définis est plus à même de rendre compte de la réalités , de la valeur du contenu de la liste eu égard aux infractions commises.
Du point juridique on pourra donc considérer que « roumouz el vessad », est un groupe de personnes qui sont responsables d’infractions de nature pénale diverses commises à l’encontre de l’a collectivité nationale.De la qualification de l’infraction : qu’ont-ils fait ?
La qualification c’est la dénomination que la loi confère aux situations susceptibles de tomber sous son application. Cette qualification est prononcée par le juge eu égard aux faits dont il est saisis, C’est par la qualification que l’on détermine le régime juridique ou les effets d’une situation.
La « qualification », c’est, d’après les éléments qui en constituent la définition juridique, la dénomination que la loi attribue aux situations et aux contrats. La qualification en détermine le régime juridique et les effets.
Le droit pénal général détermine les principes généraux concernant les infractions, les conditions générales d’incrimination et les modalités de fixation des peines. Il fixe les principes de responsabilité pénale, les causes d’irresponsabilité ainsi que les causes d’atténuation ou d’aggravation des peines.
Les principes fondamentaux du droit pénal relèvent du droit constitutionnel. En matière pénale, le législateur ayant seul compétence pour déterminer les incriminations et les peines pour les crimes et délits alors que les contraventions sont de la compétence du pouvoir réglementaire.
« Sont du domaine de la loi : (…) la détermination des crimes et délits ainsi que les peines qui leur sont applicables, la procédure pénale, l’amnistie, la création et l’organisation des juridictions, le statut des magistrats » (Article 47 de la constitution mauritanienne)
Comment donc qualifier les actes qui ont donné à ces « Roumouz el vessad », leur triste célébrité ? La qualification repose sur la mise en conformité d’un acte avec la description qu’en donne la loi.
Ainsi si l’on s’appuie sur les termes les plus utilisés pour qualifier la multitude d’actes commis par ce groupe on y retrouve invariablement un fond commun : le « vol ».
Celui étant bien entendu défini comme « une soustraction frauduleuse du bien d’autrui ». Le caractère frauduleux emporte l’intention de nuire et l’acte matériel qui en résulte.Lorsqu’une telle soustraction porte sur les biens de la communauté nationale, la qualification prend une dimension différente et revêt un contenu et une gravité qui va au-delà d’un simple acte de soustraction d’un bien.
Cette soustraction peut en effet se faire de mille et une façon. Cela peut aller de l’extirpation forcée de la chose du fait de la détention d’une autorité quelconque par celui qui fait l’extirpation soit par le recours à des moyens légaux (recours en justice contre les indigents par des personnes influentes). Il peut aussi s’agir de l’accaparation de la chose à travers la falsification de documents de propriété ou de titres publics par l’usage de ses propres fonctions ou par le recours à une complicité administrative, judiciaire ou politique.Tous ces cas de figure ont été observés en Mauritanie. Des dépositaires publics de l’autorité à leurs « clients et courtisans » intéressés de la sphère politico-financière à la sphère socio-économique le pillage a pris toutes les formes et les figures.Les actes des « roumouz el vessad » se définissent alors par une batterie de qualifications qui peuvent être rangées en deux grandes catégories sévèrement punies et classés par le droit positif. Il s’agit notamment en sacrifiant à la classification pénale, des crimes et délits qui couvrent les crimes et délits contre la chose publique et ceux contre les particuliers. Ce que le code pénal qualifie justement des crimes et délits « «contre la paix publique ».
Il s’agit notamment :
Faux et contrefaçons :
- Contrefaçon des sceaux de l’Etat, de billets de banque, des effets publics et des
- poinçons, timbres et marques
- Des faux en écriture publique ou authentique
- Du faux en écriture privée, du commerce ou de banque
- Des faux commis dans certains documents administratifs, dans les feuilles de route et
- Certificats
De la forfaiture et des crimes et délits des fonctionnaires publics dans
l’exercice de leurs fonction :
- Des soustractions commises par les dépositaires publics.
- Des concussions commises par les fonctionnaires publics
- Les délits de fonctionnaires qui se seront ingérés dans les affaires ou commerce
incompatibles avec leur qualité
- De la corruption des fonctionnaires publics et des employés des entreprises privées
- Des abus d’autorité contre les particuliers
- Des abus d’autorité contre chose publique
- Des délits relatifs à la tenue des actes de l’état civil
- De l’exercice de l’autorité publique illégalement anticipé ou prolongé
C’est autant dire que l’on retrouve tout un arsenal juridique qui correspond bien à tous les actes reprochés jusque-là aux roumouz el vessad.
Responsabilité pénale : que doivent-ils subir ?
Suivant le principe de responsabilité l’obligation est faite pour toute personne de répondre de ses actes illicites sur la base des sanctions pénales prévues par la loi. Et nul n’est responsable pénalement que de son propre fait. C’est la personnalité de la peine.
Si l’on examine tous les actes commis et qualifiables on peut dire que les peines sont variables mais elles sont pour la plupart sans commune mesure avec la gravité de l’acte. Le code pénal ne sanctionne pas de façon sevère la commission des actes qui touchent les biens de la collectivité. Jugeons-en plutôt. Un simple « vol » par un citoyen à l’étalage est puni sévèrement (amputation des mains et des pieds et flagellation suivant la récidive) et un acte de détournement de biens publics par un dépositaire public est puni de 6 mois à quatre ans de prisons et d’une amende.
Voici le cas du détournement de biens publics :
Ainsi et à titre d’exemple pour les « soustractions commises par les dépositaires publics » le code pénal dispose :« Tout agent civil ou militaire de l’Etat d’une collectivité publique ou d’un établissement public, d’une coopération ou association bénéficiant du soutien de l’Etat, d’une société dont l’Etat ou une collectivité publique détient la moitié au moins du capital, qu’il soit ou non comptable public, toute personne, revêtue d’un mandat publie ou tout officier public ou ministériel qui aura commis dans l’exercice de ses fonctions les détournements ou dissipations prévus à l’article 379 ART. 379 du présent code ( Quiconque aura détourné ou dissipé, au préjudice des propriétaires, possesseurs ou détenteurs des effets, deniers marchandises ou objets quelconques, billets, quittances ou tous autres écrits contenant ou opérant obligation ou décharge, qui ne lui auraient été remis qu’à titre de louage, de dépôt, de mandat, de nantissement, de prêt à usage ou pour un travail salarié ou non salarié, à la charge de les rendre ou représenter ou d’en faire usage ou un emploi déterminé, sera puni d’un emprisonnement de six mois au moins à quatre ans au plus, et d’une amende de 5.000 à 600.000 ouguiya), sera puni d’un emprisonnement de cinq à dix ans; en outre, une peine d’amende de 5.000 UM à 1 million UM sera obligatoirement prononcée.(article 164) »
Sera punie des mêmes peines toute personne désignée à l’article précédent qui, à l’occasion de l’exercice de ses fonctions, aura soustrait des effets, quittances ou écrits contenant ou opérant obligation ou décharge, ou qui dans toute autre circonstance aura obtenu frauduleusement de l’Etat ou d’une collectivité publique au moyen de pièces fausses ou de manœuvres quelconques des sommes d’argent ou des avantages matériels qu’elle savait ne pas lui être dus (article 165)
La recherche et la constatation des délits ci-dessus spécifiés lorsqu’ils auront été commis au préjudice de l’Etat ou des organismes publics ou semi-publics visés à l’article 164 seront confiées à des agents de l’Etat habilités à cet effet, conformément aux dispositions réglementaires prises en application de la présente loi.
Préalablement à toute poursuite, les auteurs des délits susvisés auront été mis en demeure, par
l’agent de l’Etat chargé de l’enquête, de rendre ou de représenter les effets, deniers, marchandises ou objets quelconques, billets, quittances ou écrits, contenant ou opérant obligation ou décharge qu’ils avaient détournés, soustraits ou obtenus frauduleusement (Article 166) »
Et voici le cas du vol à l’étalage :
Quiconque a soustrait frauduleusement une chose qui ne lui appartenait pas est coupable de vol et sera condamné à l’amputation de sa main si toutes les conditions suivantes sont remplies:
1. Si le voleur est sain d’esprit et majeur;
2. Si la soustraction est frauduleuse;
3. Si la chose soustraite est susceptible d’appropriation;
4. Si le coupable n’a droit à aucune revendication légitime vis-à-vis de la victime du vol;
5. Si la valeur de la chose soustraite est égale ou supérieure au quart de dinar en or;
6. Si le vol n’a pas pour mobile immédiat une nécessité de fait;
7. Si la soustraction a été opérée dans un lieu habituel de gardiennage ou de conservation de la
chose soustraite;
8. Si le coupable n’est pas autorisé à pénétrer dans le lieu où s’est déroulée la soustraction;
9. Si le coupable n’est pas un ascendant de la victime de la soustraction;
10. Si la chose soustraite est sortie du lieu de sa soustraction;
11. S’il n’existe aucun lien conjugal entre l’auteur et la victime de la soustraction et que la chose soustraite ne peut donner lieu à un vol entre les deux.
Dans tous les cas, l’amputation de la main droite du coupable n’est prononcée que lorsque toutes les conditions ci-dessus énumérées ont été réunies.
Si le coupable est récidiviste primaire, il sera amputé de son pied gauche. S’il est tri-récidiviste, il sera amputé de la main gauche. S’il est récidiviste pour la quatrième fois, il sera amputé de son pied droit. S’il est récidiviste pour la cinquième fois, il sera flagellé et emprisonné.
Les preuves du crime de vol ne peuvent être rapportées que par les modes suivants :
1. L’aveu libre, volontaire et conscient du coupable et qu’il ne se soit pas rétracté de son aveu
de façon plausible;
2. La déclaration de deux témoins de bonne moralité de sexe masculin.
Dans tous les cas, le témoignage d’une seule personne, fut-elle sous la foi d’un serment, ou encore celui d’un homme et de deux femmes ne sauraient être pris en considération que pour la condamnation, la restitution ou le remboursement de la valeur de la chose volée.
Cet article 351 du code pénal ne s’adresse pas aux « roumouz el vessad » mais aux autres voleurs du petit peuple. Comme quoi les mains qui volent l’Etat et réduisent le peuple à la misère ne sont pas celles que l’on coupe.
Outre que cet article du code pénal pourrait réduire tout une classe (politique) en manchots et pieds-bots, il reste complètement hors du champ de la sanction d’un vol bien plus grave que celui d’un gagne-pain à savoir le pillage des maigres ressources de toute une communauté.L’amalgame du droit et de la politique : Faut-il punir ?
Il ne fait pas de doute que les « roumouz el vessad » sont une réalité. Comme il ne fait pas de doute que beaucoup d’entre-eux font l’unanimité quant aux actes qu’ils ont commis. Il ne fait pas de doute non plus que les actes qu’ils ont commis entrent bien sous le coup de la législation pénale.
Faut-il cependant punir ces « roumouz el vessad » ?
Le crime existe, les criminels existent, l’arsenal juridique existe. Mais faut-il punir et comment punir ?
La réponse varie en fonction des personnes et de leurs intérêts. Il y a ceux qui pensent qu’il faut « tout oublier et éviter une chasse aux sorcières préjudiciables » à la continuité de l’Etat à la tranquillité sociale, d’autres pensent au contraire que tant que les « roumouz el vessad « n’ont pas été punis, il n’ y aura jamais de continuité réelle d’un Etat véritable et non corrompu garant du développement et une colère sourde continuera à gronder chez le peuple et les laissés pour compte.
Hélas, il n’ y a pas de solutions intermédiaires et le silence actuel qui plane sur ce sujet ne présage pas d’un bon augure.
En effet le pays a payé un lourd tribu aux pilleurs de ses ressources . Pilleurs qui hypothéqué des décennies entières sur la voie de son développement et qui n’ont même pas quitté la scène politique . Mieux encore ils peuplent les allées du pouvoir. « Je t’ai volé, je te dirige et tu n’y peux rien ».
C’est là l’image que le peuple reçoit de ce qui constitue encore l’Etat. Et c’est justement cette image qui décrédibilise l’Etat . Une image qu’il gardera toujours tant que la question des Roumouz el vessad n’a pas encore été résolue.
Mais la politisation de la question a caché sa « judiciarité » et l’on s’est pris à faire l’amalgame entre le droit du peuple à se faire restituer ses ressources , droit inaliénable, et la volonté du politique de l’en priver qui va à l’encontre de ce droit. Volonté politique qui fut dictée par des échéances électorale et qui aujourd’hui ne peut plus rien justifier.
Les ressources manquent, la vie est chère, la misère peuple les quartiers et chacun s’en prend à penser que s’il est dans cet état c’est à cause de ce qu’on lui a volé.
Mais passé les constats c’est moins de faire état de tout le préjudice subi par la nation (évaluable et identifiable) du fait de ces « roumouz el vessad » que de trouver une voie permettant à la collectivité nationale de leur demander des comptes.
C’est dans ce sens qu’il convient de réfléchir. Toute solution se devrait de prendre en compte les deux éléments suivants :
- La nécessité de préserver la paix sociale
- La nécessité de restitution des biens de la nationAussi le recours aux voies judiciaires serait intéressant mais les concevoir comme accessoires aux fins d’arriver à une solution plus adéquate et plus originale préservant les nécessités mentionnées.
Il pourra s’agir de la mise en place d’une commission spéciale (« commission du patrimoine public ») chargées de recouvrer les biens publics détournées assistée d’un appareil judiciaire, le ministère public auprès d’une juridiction et qui dresserait la liste de tous ceux sur lesquels pèse une présomption de détournement de bien publics.
Mais il va de soi qu’il ne s’agit pas d’une présomption issue d’une conviction ou d’un témoignage individuel ou collectif, mais d’une présomption qui serait établie sur la base d’un comité indépendant (« comité du rapport ») qui aurait recensé le patrimoine de tous ceux qui figureraient sur cette liste. Il dresserait alors un Etat du patrimoine de la personne auquel sera joint l’Etat de ses services (son parcours de fonctionnaires ou d’agent public, ses émoluments ses revenus propres etc.) sur la période définie. Un document final de rapprochement sera alors soumis à la commission sur lequel elle assoira sa décision. Bref, une présomption établie sur des faits et qui emportera l’intime conviction.Exemple d’une décision à rendre :
- Vue la situation patrimoniale de l’intéressé au moment de sa prise de fonction (attestée par tels documents, tels témoignage, tels faits etc.)
- Vue les investissements réalisés de puis sa prise de fonction (en maisons, véhicule, achats de terrains, de bétail ou de transferts d’argent ou de participation dans le capital de sociétés ou de toute opération d’enrichissement…)
- Vue sa situation patrimoniale actuelle qui est la suivante :…
- Et par application d’un rapport établi par la commission entre le patrimoine actuel et celui qu’il aurait pu se constituer du fait de sa fonction (salaires avantage ou patrimoine parental ou familial ou de tout autre revenu légal,) l’intéressé est invité à restituer à la collectivité les biens indument acquis soit en l’état soit en leur contrevaleur actualisée telle qu’estimée par le comité du rapport.Les décisions de cette commission auront force de chose jugée et exécutées dans les même formes que les jugements pénaux (pénalités de retard, obstructions à l’exécution etc.)Enfin, par dérogation aux dispositions du code pénal relatives à la forfaiture notamment (par une modification des textes), la personne qui aurait restitué le patrimoine détourné conformément aux décisions de la commission aura fait amende honorable et ne fera pas l’objet de poursuites. Dans le cas contraire son dossier sera transféré aux tribunaux criminels et sera traités conformément aux dispositions pénales en vigueur relativement aux actes commis (peines de prison, amendes, restitution des biens et déchéance civique).
La procédure exceptionnelle qu’instruirait et exécuterait cette « commission du patrimoine public » aura l’avantage d’offrir une voie de non pénalisation des actes commis en contrepartie de la restitution des biens de la collectivité nationale par ceux qui l’ont extirpé. Elle préservera la paix sociale et l’intérêt national. Ce qui répond bien aux préoccupations actuelles.
En effet, si les « roumouz el vessad » sont essentiellement perçus dans la littérature qui leur est consacrée comme ceux qui ont « volé » des biens publics, il reste cependant qu’ils sont plus que cela. Ils sont l’image même que le citoyen se fait de l’Etat et tant qu’ils restent impunis la crédibilité de l’Etat et sont respect restent sous caution.
Les « Roumouz el vessad » ne sont pas seulement les symboles d’une gabegie ils sont pires que cela : ils représentent un certain Etat dans le conscient d’un peuple qui aujourd’hui a besoin d’effacer cette image pour pouvoir croire en quelque chose. De croire en un Etat moral, en un Etat qui n’est pas bâti sur les crimes d’un passé qu’il fait semblant d’ignorer mais qui n’échappent au plus démuni des charretiers aux tréfonds de sa bidonville.Pr ELY Mustapha
(vous trouverez la suite sur le site de l’auteur c’est-à-dire : professeur Ely Mustapha haut-et-fort.blogspot.com, à ne pas rater ça vient de sortir)