la publicité et la presse

 

 Un journal  n’est pas  seulement  le véhicule  d’une pensée. C’est aussi une marchandise, un objet que l’un vend  et que l’autre achète  mais sans cet objet la pensée n’atteindrait jamais ceux qu’elle voudrait atteindre. Création  de l’esprit, il se réfère  à tout un système de valeurs morales et intellectuelles. Marchandise, il est tributaire des lois fondamentales qui commandent à la production et à la consommmation dans une économie de marché

Cette interferance de deux univers complique singulierement l’affaire. Au service de l’idée, quelle qu’elle soit, la matière intervient comme organe de transmission. Entre l’homme qui tient une plume et le lecteur elle établit les connexions nécessaires.

Selon la richesse du journal le papier utilisé sera plus ou moins cher, si bien que la segrégation par l’argent apparaît au stade même de la fabrication. Ainsi entre deux journaux théoriquement libres, il en est toujours un plus libre que l’autre dans la mesure  où il est plus a même  de taper dans l’œil du client et ainsi de mieux  répandre les idées dont il est porteur.

Mais pour que se réalise l’union de la pensée et de la matière et pour qu’ainsi à travers l’objet la pensée du journaliste arrive jusqu’au lecteur que d’opérations sont nécessaires, et qui mettent  en mouvement le mécanisme  complexe des lois économiques.

Au chapitre des frais rédactionnels il faut distinguer les journaux riches et les  journaux pauvres. Les premiers n’hésitent pas à envoyer un reporter à l’autre bout du monde si l’événement qui s’y produit  justifie le déplacement. Le journal pauvre lui se contente  d’expédier un Rouletabille  plus modeste dans ses ambitions. Et l’on y travaille le plus souvent  sur des dépêches qui ne sont pas gratuites.

Une rédaction ce sont des salaires, des charges  sociales des frais de déplacement pour les  correspondants, des piges pour les collaborateurs et j’en passe. C’est pourquoi certains journaux croulent sous cette charge pénible. Une telle situation est malsaine et dangereuse. C’est en effet la porte ouverte à toutes les pressions, à tous les chantages, à toutes les compromissions. Un journal honnête placé dans des telles conditions n’à plus guère  le choix qu’entre se saborder et l’appel aux ressources externes ; dans les deux cas la liberté de la presse prend un sérieux coup.

Bien entendu les lobbies politico financiers n’attendent qu’une telle opportunité pour foncer sur la proie. Alors la publicité reste pour le journal le seul moyen honnête de survivre mais trouvera t il dans la publicité les ressources nécessaires sans lesquelles il serait contraint de disparaître ? un journal qui accepte de devenir un support publicitaire pour un nombre déterminé d’annonceurs s’engage à consacrer dans chacun de ses numéros une surface allouée à cet effet à un tarif indiqué, et ce au détriment  des informations et commentaires.

La publicité est une arme à double tranchant ; elle peut assurer la liberté de la presse comme le peut aussi bien l’annihiler. Cette étroite dépendance des journaux à l’égard de la publicité peut être lourde de conséquence. En effet elle peut, par des pressions ouvertes  sur les directeurs des publications ou  les rédacteurs en chef, aller jusqu’ à infléchir la ligne rédactionnelle du journal. Il est clair qu’un journal y réfléchirait deux fois avant de s’attaquer à un annonciateur qui lui permet de boucler  son budget ; même si l’actualité, l’intérêt public et la morale l’exigeaient.

C’est dire combien la situation des journaux est précaire, menacés qu’ils sont de voir du jour au lendemain les publicitaires fermer le robinet. Le dilemme est cornélien – les journaux doivent ils fermer les yeux sur certains faits sous prétextes de ne pas perdre les contrats publicitaires ou au contraire doivent ils  rester fermes sur leurs principes quoiqu’il leur coûte ? Autrefois la publicité apportait  aux journaux le superflu, aujourd’hui elle leur apporte le strict nécessaire.

Ainsi une lourde hypothèque pèse sur la libre expression des idées et des opinions  par l’asservissement des journaux  aux intérêts économiques. Cette sujétion est inévitable, car elle tient du fait que le journal  est aussi une marchandise.

Mais pour que le lecteur puisse former son jugement, il a droit de savoir si son journal est libre de toute attache, si les positions qu’il prend lui sont dictées par le seul souci de l’intérêt  public et non inspirés par les tenants de la bourse. La mainmise des intérêts privés sur la presse constitue une nouvelle menace sur une information libre et honnête.

Thomas Macaulay définissait la presse comme « le quatrième pouvoir ». Ceci  dans la mesure  où en marge de l’exécutif, du législatif,  et du judiciaire, elle les égale en puissance, en vertu du privilège qui lui est reconnu de les juger, de soumettre à une critique sans indulgence le moindre de leur geste. Il arrive que la critique soit injuste mais on sait que le pouvoir a les moyens de se défendre et qu’il n’hésite pas à y recourir.

Les journalistes court-circuitent les hiérarchies les plus strictes et  bouleversent l’étiquette la plus rigide. Ils se promènent au milieu des cérémonies les mieux ordonnées et leur sans gêne débraillé et affairé ne choque personne. Ils ont conscience d’appartenir  à un milieu à part, doté de certains privilèges qui les autorisent à traiter d’égal à égal les puissants de ce monde. Hommes politiques et cabots de toutes sortes ont besoin de la presse. De cet échange de service  naît une complicité étrange mais réelle qui fait du journaliste un personnage en marge et le met dans une situation privilégiée où il échappe à loi commune. La vanité des médiocres y trouve son compte, mais il n’est pas sans risque d’être à tu et à toi avec les maîtres de l’heure. 

Que se passe t il si en revanche  si cette formidable puissance que détient sous sa plume le journaliste est détournée de ses fins légitimes et mise au service de la malveillance, de la vengeance ou de la volonté de nuire à un tiers ? La gamme d’agression par voie de presse est large et variée elle va de l’imputation malveillante jusqu’à la diffamation pure et simple.

Le métier de journaliste est le plus beau des métiers ou du moins il peut l’être. Mais des échanges  des services naît la familiarité qui insensiblement passe à la compromission ; la pratique des enveloppes, la flatterie et les marques externes de considération permettent ainsi   de s’assurer un corps de domestiques empressé et c’est alors que le plus beau métier peut devenir le plus  méprisable.

A l’inverse quelle tâche exaltante que celle du journaliste qui a su garder son indépendance, et quelle fierté pour lui, quand après des années dans la  carrière il a su gagner la confiance du lecteur qui désormais attend son  avis pour former son propre jugement.

Tout repose donc sur la compétence du journaliste mais aussi et surtout sur son honnêteté et son sens moral. C’est la garantie que chacun  est en droit d’exiger de lui comme contrepartie du pouvoir qui est le sien. Et c’est ici  qu’interviennent les règles d’une éthique professionnelle qui accompagnent le droit du public à être informé.

La restriction de la liberté de la presse doivent elles venir seulement  de la loi protection naturelle du citoyen, ou de la rigueur  morale du journaliste et son sens de l’honneur.

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