Les patronymes fulbe (peuls) origine mythique et symbolique. Par Oumar NIANG

La langue pulaar est truffée de références mythiques qui rappellent Caamaaba, serpent et ancêtre mythique des fulɓe. La culture fulɓe, qui repose sur la tradition pastorale, appelée « ngaynaaka », est largement construite autour de ce mythe fondateur. Dans le cadre de cette démarche, nous voulons d’abord comprendre comment certains symboles à valeur conceptuelle, présents dans la langue, interviennent dans la représentation de ce mythe. Ensuite, nous nous intéresserons, dans un deuxième temps, aux patronymes fulɓe, à leur origine mythique et symbolique.
« Ngooroondi »
En pulaar, parmi les mots qui évoquent le  mythe Caamaaba, on peut retenir celui de « ngooroondi », qui veut dire « serpent ». Ce même mot est relié à la racine : « oor », du verbe « oorde », qui renvoie aux traditions à la base du pastoralisme peul. « Oorde » signifie « conduire un troupeau de bétail pour la pâture ». Il rappelle Caamaaba conduit par son berger Kumen.

Le verbe « oorde » suggère de nombreux déplacements plus ou moins importants, qui prendront plus tard un caractère migratoire. A ce titre, il est fondateur dans l’émergence du pastoralisme fulɓe. Il préfigure le « ngaynaaka » comme mode de vie culturel à la base de l’identité fulɓe.

Le terme « ngooroondi » connaît  aussi un autre emploi en pulaar, il est associé à l’idée de « fondation ». Encore, de nos jours, dans le Fuuta, il sert à désigner la « fondation » d’une maison ou d’une case, sans doute en souvenir du serpent mythique Caamaaba qui vivait reclus dans une case. La case peule, de par sa forme circulaire, arrondie rappelle l’image du « ngooroondi », symbolisant « Caamaaba » source de protection, de fécondité et de renouvellement infini.

« Baajol ladde »

A cinq ans, j’étais  berger dans la famille de ma mère, une « pullo » du clan BAH appartenant aux Jaawɓe du Sénégal. Un jour, j’ai fait l’expérience d’un événement à la fois révélateur et initiatique resté à jamais gravé dans ma mémoire. Je suis tombé nez-à-nez avec un serpent que j’ai réussi à assommer avec mon bâton de berger. Le soir venu, j’ai raconté mon exploit à mon oncle Demba qui me réprimanda avec véhémence, disant : « on ne s’attaque jamais à un « baajol ladde », sans toutefois fournir plus d’explications.

Plus tard, j’ai compris la signification attachée à cet interdit. En effet, si un pullo, en l’occurrence du clan Bah, ne devait en aucun cas faire du mal à un « baajol ladde », c’est sans doute parce que ce « serpent » ou « reptile » entretient un lien sacré et symbolique  avec son clan.

En effet, dans les croyances mythiques et symboliques fulɓe, « Caamaaba » a le pouvoir d’apparaître sous différentes formes à travers ses substituts. Le « baajol ladde » représente un des substituts de Caamaaba, une de ses différentes formes de manifestation.

Quelle alliance « Caamaaba » entretient-il avec les fulɓe, en particulier avec ceux du clan Bah ?

« Pullo Ko Bah »

Dans la tradition fulɓe, le clan des Bahbahɓe jouit d’un statut particulier. Il existe une expression largement répandue à leur sujet qui dit : « pullo ko Bah », voulant dire que « le vrai peul est du clan Bah », comme si l’identité tous les fulɓe pouvait être incarnée au point d’être réduite à ce seul clan. D’où vient ce statut particulier accordé aux Bah et à leur clan ?

Commençons par rappeler, qu’en pulaar, le terme « BAH »  a une double fonction : d’abord en tant que patronyme, puis en tant classe nominale, avec une valeur linguistique particulière, puisque c’est dans cette classe nominale distinctive que se range évidemment « Caamaaba », l’animal mythique des fulɓe.

Le pulaar présente  un système nominal basé sur une structure morphologique dite : « langue à classes ».  Ce fait morphologique particulier est traduit dans le  mot « Caamaaba », ce dernier distingue la marque « -ba », qui permet de définir sa classe d’appartenance  qui est :  « BAH ».

Nous constatons une identité formelle entre la classe « BAH » associée à l’animal mythique « Caamaaba » et le patronyme Bah correspondant au nom du clan. On peut dire qu’il y a une forme d’alliance à la fois symbolique et fraternelle qui s’opère ici entre l’animal mythique et le clan qui lui est associé, d’où le statut particulier accordé aux Bah.

Cette alliance symbolique entre les fulɓe et leur ancêtre mythique Caamaaba est traduite dans les relations  sociales à deux niveaux :

-      d’abord, sous forme de jiidugal, du verbe « jiidude » qui veut dire « être apparenté » au sens de  partager une même identité formelle à travers un nom patronymique permettant de définir une appartenance commune entre les membres d’un même groupe clanique;
-     puis, sous forme  de « denɗiraagal » du verbe « rendude » qui traduit un lien de partage à la fois symbolique et fraternel avec des appartenances impliquant des relations sociales  plus larges, plus étendues faisant intervenir plusieurs entités claniques, d’où « rendude ».

Samba et Demba

En pulaar, la marque de Caamaaba est identifiée sous la forme « ba » dans les patronymes. Cette marque caractéristique de l’animal mythique est également présente dans certains prénoms masculins traditionnellement portés par les fulɓe.

En effet, c’est en souvenir de leur ancêtre mythique que les fulɓe portent les prénoms Samba et Demba qui font directement référence au mythe de Caamaaba. La marque de Caamaaba est présente dans ces deux prénoms à travers la forme « ba »:

Sam-ba
Dem-ba.

Ces deux prénoms entretiennent un rapport symbolique qui ne peut être compris en dehors du mythe de caamaaba. En effet, la tradition pastorale fulɓe est largement construite autour de ce mythe fondateur qui rappelle Caamaaba conduit au pâturage par son berger Kumen.

Dans ce rapport symbolique, il y a un ordre prédéfini qui est reproduit dans le cadre du « ngaynaaka », où Caamaaba occupe une position qui le place « avant », alors que « Kumen », de par son rôle de « berger », occupe une position qui le place « après », c’est-à-dire celui qui « suit », c’est la signification que traduit précisément le prénom « Demba », avec le radical « dem » qui renvoie à la racine « rew » au sens de ce qui « suit » ou qui vient « après ». C’est ce que figure également  l’image du gaynaako « berger » conduisant son troupeau.

Formellement, on peut dire que le prénom (Dem-ba) associe la racine « rew » qui rappelle la fonction du berger représentée symboliquement par Kumen et la marque « ba » de l’animal mythique Caamaaba. La tradition pastorale interprète cette relation symbolique à travers l’expression « Demba  gaynaako ».

Dans le cas du prénom « Samba », on remarque la forme « sam » qui renvoie à la racine « saw ». D’ailleurs, en pulaar, il existe l’expression « Samba sawa laamu », où la racine « saw » est associée à « Samba » comme variante. La racine « saw » permet de former le verbe « saw-ndaade », qui « vient avant » dans un ordre de succession, celui qui est placé « devant ». C’est le même sens que traduit le titre « arɗo » du verbe « ardaade » (équivalent à celui de  « sawndaade »), qui est porté par un chef peul initié aux secrets et traditions pastorales. Le «Arɗo » a une fonction d’initié, de guide, ce qui le place ou le situe en « avant » de sa communauté. De par sa position comme de par sa fonction, il reproduit symboliquement l’image de « Caamaaba » conduit par son berger Kumen.

On peut dire que le prénom (Sam-ba) associe la racine « sam » avec  comme variantes correspondantes « caam » ou « cam » rappelant le radical de Caamaaba et la marque « ba » symbolisant l’animal mythique.

Le « sawru gaynaako » « bâton du berger », de par sa forme allongée, rappelle symboliquement l’image de Caamaaba. Dans le mot « saw-ru », on retrouve « saw », la même racine que « sam » ou « cam ». Au Fuuta Tooro, le surnom de « Samba » est  « Bacca » obtenu par un jeu d’inversion syllabique, là aussi, on retrouve le radical de Caamaaba (bacca = cama = caama).

Ce rapport symbolique et mythique  se  constate également dans le cas du prénom féminin « Kumba » qui associe « kum + ba » (kum renvoyant à Kumen et ba à l’ancêtre mythique Caamaaba).

Ce même rapport symbolique entre Caamaaba et son berger Kumen est présent dans le système classificatoire de la langue. En effet, parmi les 21 classes nominales que compte le pulaar, seules BAH et KAH remplissent une double fonction à la fois linguistique et patronymique. La classe BAH correspondant à Caamaaba et la classe KAH associée à la fonction de « ngaynaaka » et donc à Kumen. Notons que cette classe KAH commence par l’initiale de Kumen détenteur de secrets et de traditions d’initiation pastorale, d’où le statut particulier que les fulɓe accordent au métier de gaynaako « berger », comparativement aux autres métiers traditionnels comme par exemple : demoo-w-o « cultivateur », gawoo-w-o « pêcheur », baañoo-w-o « chasseur ». Cette différence est perceptible dans la manière de les désigner, puisque dans le mot « gaynaa-k-o », l’élément de liaison « k » renvoie à la classe Kah symbolisant la  tradition pastorale peule.

Ce même rapport symbolique entre Caamaaba et Kumen se constate également dans les rapports de filiation régissant les relations de parenté entre fulɓe, ces relations sont dominées par un système patriarcal. C’est ainsi que la branche paternelle est identifiée et symbolisée par le père « baaba » (bah-bah), alors que la branche maternelle est reliée  à l’oncle « kaaw » (kah).

Ce même rapport symbolique se perçoit dans l’ordre de désignation des naissances que beaucoup de fulɓe pratiquent encore de nos jours, malgré la profonde islamisation de leur société. Ma mère, une peule du clan Bah, m’appelle toujours affectivement : Dikkelam, ce qui renvoie à ma position d’aîné « afo » en pulaar, le 1er dans l’ordre des naissances ; mon deuxième frère hérite le surnom Sambayel (cawndiiɗo du verbe saw-ndaade), car il est placé « avant » mon troisième frère : Dembayel (dewɗo, du verbe rewde « suivre » ).

Notons qu’il existe aussi, pour l’aîné, la dénomination « Hamadi ou Hammadi » comme le rappelle Hampaté Bah à propos des prénoms peuls. Nous pensons que cette forme de désignation est à mettre en rapport avec un autre surnom féminin « Mali » (voir O. Ba). En effet, dans  la structure formelle du prénom Hamadi (Ha-madi), on dérive le surnom « Mali », avec une variation obtenue par l’alternance de « d » en « l ».

Dans le Fuuta, « Mali » est le surnom attribué à la 1ère fille dans l’ordre de succession des naissances.  On trouve aussi Sira, dont l’équivalent masculin est Cire dérivé de « siratigi », titre porté par un « initié » ou « chef »  Deniyanke.
Nous supposons que « Hamadi » est dérivé de « Laman », un titre traditionnellement porté par un « chef propriétaire terrien » serer. Le « Laman » avait une fonction politique, sociale et surtout religieuse, il était gardien du sacré. Cependant, dans l’ancienne société serer, « Laman » était aussi un titre royal.

En découpant le mot « laman »  en : « la-man », on reconstruit par dérivation les termes correspondant au titre royal « Mad », « Maat » ou « Man » (en serer), « Man-na » (fulɓe), « Man-sa » (Mandingue). On constate également que le terme désignant  « Laamɗo » « roi » en pulaar est construit sur le même modèle que « Laman ».

Le titre royal « Man » fait lien avec l’histoire des fulɓe à travers la dynastie des Manna (d’origine Soninke qui aurait régné entre 826-1082, cf. O. Kane). Elle a eu plusieurs souverains, dont  Hammadi Manna, personnage historique célébré dans de  nombreux contes qui ont nourri sa légende (que j’ai moi-même entendus racontés par ma mère).
La dynastie des Manna a marqué l’histoire des fulɓe. Il est fort probable que ce soit sous le règne de Hammadi Manna que le surnom « Hammadi » se serait imposé dans les usages au point de désigner l’aîné dans l’ordre de succession des naissances.  Les termes associés à « Hammadi » et « Manna » désignent tous les deux un « titre royal » en référence à « Laman ».

Chez les Haalpulaar, on note aussi l’existence du patronyme Lam issu de « Laman », mais correspondant au titre qui s’applique au «chef  propriétaire terrien ». Dans le Fuuta halayɓe, les lamɓe sont connus pour être de grands propriétaires terriens, ils sont détenteurs de plusieurs kolaaɗe, la légende dit que ces kolaaɗe ont été défrichés par le Goral Lamlamuwal (ou Lewlewal).

Linguistiquement, le patronyme « Lam » dérive directement de l’activité « lew-de » qui signifie « défricher » en pulaar. En Serer et en Wolof, on retrouve ce même mot « lew » qui s’applique à des « concessions d’étendue variable ».

Le clan Jah : origine mythique et symbolique

Les Fulɓe du clan Jah entretiennent également un lien mythique et symbolique avec Caamaaba. D’après Gaden (1914), les Jaajaaɓe /jah-jah-ɓe/ sont connus pour le respect scrupuleux qu’ils ont au sujet d’un animal symbolique : le  « njaawa ». Ce dernier est un serpent python vivant dans le jeeri. Il fait l’objet de tabou.

Il y a bien un lien symbolique  entre le clan « Jah » et le serpent python « njaawa »  qu’on peut établir et qui renvoie  au mythe de « Caamaaba ». Le serpent « njaawa » (BAH) apparaît ici comme un des substituts de Caamaaba.
Linguistiquement, le terme « njaaw-a » distingue le radical « njaaw » associé à la marque grammaticale « -a ». Le  radical « njaaw »  sert ici  à former le nom d’une des grandes  tribus fulɓe : Les « Jaawɓe ». Ces derniers formaient une tribu puissante avant d’être défaits par les armées de Koli Tengela Bah. Le  Arɗo  jaawɓe  est de patronyme Jah, clan probablement  à l’origine de la formation de cette tribu. D’après l’historien Kane, les Jaawɓe constituent  « numériquement »  la fraction la plus importante au Fuuta. Ils descendraient de Jaaje.

Jah ou Jaaye ?

Nous pensons que « Jaaye » est intimement  relié au clan « Jah ». En effet, la forme « Jaaye » correspond, en pulaar, à une des différentes réalisations du  patronyme « Jah ».  Ce dernier, tout seul, se réalise : «  Jah ».   Cependant, devant une consonne, la tendance est de ne pas prononcer le son /h/ ; d’où la forme  « jaaj » qu’on retrouve dans « jaajaaɓe » ou « jaajaawo ».

Le nom « Jah » se réalise aussi sous la forme « jaay » comme « jaayel », qui correspond à la forme affective  du patronyme qu’on retrouve également dans « Jaaye ».

Les Jah ont une  présence très ancienne au Fuuta. Elle remonte bien avant la création de Tekrour (800-1285). Ils sont considérés comme étant les fondateurs de la première dynastie fulɓe connue sous le nom de « Jah oogo » (au 1er siècle de notre ère).

Jah Demba

Encore de nos jours, dans le Fuuta Tooro, il est de coutume pour saluer une personne du clan Jah d’invoquer l’ancêtre clanique «Jah Demba». Cette référence symbolique vise  à  rappeler que l’exercice de ngaynaaka est traditionnellement associé à « Demba », avec le radical « dem » issu du verbe rew à l’image du berger Kumen suivant Caamaaba. Tout « gaynaako » donc « Demba gaynaako », qui conduit son troupeau, s’inscrit dans cette tradition mythique qui remonte à « Caamaaba », lequel était conduit par son berger Kumen. Dans le prénom ou surnom « Demba », on retrouve également le patronyme Dem. Les clans Dem et Jah sont liés par le denɗiraagal.

En dehors des fulɓe, il est important de souligner que Jaaye est partagé par d’autres peuples, en particulier les Wolof à travers le personnage légendaire : Njaajaan Njaay (qui  régna à partir de 1360) et ancêtre mythique des Wolof. Sa mère serait une princesse haalpulaar nommée Fatimata Sal, fille du Laam Tooro.

Sur le plan linguistique, nous pensons que le patronyme du légendaire et ancêtre des Wolof est construit à partir de « Jaay » qui apparaît ici sous une forme prénasalisée : « Njaay ».

Ce qu’on remarque surtout dans la construction de « Njaa-jaan », ce qu’elle associe l’ancêtre mythique à un animal symbolique (totémique) à travers la forme « jaan », qui signifie « serpent ou reptile» en wolof, rappelant ainsi l’animal mythique « Njaawa » objet de tabou pour le clan « Jah », et, que sous la dénomination « Njaajaan », c’est bien le patronyme Jah qui est ici redoublé en /njah-jah-n/. Chez les Serer, le patronyme correspondant est Jaw, il fait référence au serpent « njaawa ».

Dès lors, il n’est pas étonnant que le « njaawa », animal mythique et symbolique, substitut de Caamaaba, soit associé à la fertilité, à la fécondité (d’où « njawdi » = « bélier » source de procréation, de reproduction, de renouvellement de l’espèce), à l’abondance et à la richesse (d’où « jawdi »), (mais aussi à la « protection et à la « paix », car le terme « jam » peut être considéré  comme variante de « jaw »).

Il est intéressant aussi de remarquer que le patronyme « Njaay », en référence à l’ancêtre mythique Njaajaan Njaay, est symboliquement représenté par un animal qu’on appelle « gay-nde » qui veut dire « lion » en wolof. Au Fuuta Tooro, traditionnellement, les pêcheurs subalɓe emploient le mot « ngaari » /ngay-ri/ comme substitut de Caamaaba dans sa version « ngaari maayo » « génie du fleuve ». Or, en pulaar, le mot « ngaari » / ngay-ri/ a comme pluriel « gay », ce dernier est une forme contenue comme base lexicale dans le mot wolof « gay-nde » « lion », où l’on retrouve également le  patronyme Gay.

Les termes pulaar désignant « ngaari » ou « gay » ont une origine ou une signification mythique qui renvoie donc symboliquement à Caamaaba.  Il existe à ce sujet une expression  utilisée pour honorer une personne Tooroodo, on dit : « Tooroodo Samba Ngaari Demba »  où les termes « Samba », « Ngaari » et « Demba »  renvoient à l’animal mythique Caamaaba.

Au Fuuta, parmi les haalpulaar, les Jah entretiennent un lien étroit avec le clan Ngayde (patronyme issu du mot « gaynde » ), tous les deux  sont unis par le denɗiraagal , du fait de cette origine commune Jaaye.

Soulignons que le terme «  ngaari » peut aussi être associé à celui de « mbaroodi » comme symbole et substitut de Caamaaba. Le mot « mbaroodi » contient la racine « war » permettant de former les patronymes Bari  et Balde. Pour le patronyme  Bari, un rapprochement est tout à fait possible avec War Jabi ou Jaabi, un des rois du Tekrur : War = Bari, tandis que Jabi ou Jaabi est un patronyme qu’on retrouve chez les Soninke, il correspond au patronyme peul Jah, (en outre, Jabi est morphologiquement proche du nom clanique Jaw (serer et haalpulaar)). Les Jaabi se considèrent cousins des Jah.

En effet, en dehors des Wolof et Serer, les Jah se considèrent cousins des Soninke de patronymes « Diagana », « Diaby », « Diabira », « Diakhite ». On remarque que tous ces patronymes commencent par « Jah ». C’est sans doute dans cette forme de parenté symbolique qu’il faut rechercher le vrai sens attaché au mot cousinage « denɗiraagal », qui lie encore aujourd’hui le peuple Serer aux haalpulaar du Fuuta. Tous ces peuples (fulɓe, Wolof,  Soninke, Serer) partagent en commun  le mythe de Caamaaba.

Les patronymes Yaal, Jallo

Ces deux patronymes fulɓe trouvent leur origine dans le mythe de Caamaaba. Ils sont reliés au personnage « Yaladi », père de « Ilo » (Ilo est le frère jumeau de Caamaaba). De la forme  « Yaladi », on isole la racine « Yal » permettant de dériver les patronymes suivants :

-      Yaal, ce même patronyme, associé au marqueur de classe pour les humains « -o », aboutit au  patronyme   :
-      Jallo avec une alternance à l’initiale de « y » en « j » et une gémination de « l » en « ll ».
De manière générale, les fulɓe de clans Jallo  et Yaal entretiennent des relations de parenté sous forme de denɗiraangal, car, ils partagent le même ancêtre commun : Yaladi.

Le « Jaalaalo »

Citons Oumar Kane : « Le plus célèbre des Yaalalɓe est incontestablement Tenella Gedal, chef de guerre, fondateur du royaume Jaalaalo au milieu du XVème siècle et père de Koly Tenella le fondateur de la dynastie de l’empire deeniyanke ». (p. 140), … D’autres sources, comme Ciré A. Soh, mentionnent que Tenella Gedal n’a été que le père adoptif de Koly. Dans le cadre de notre propos, nous nous contenterons de préciser que le patronyme de Koly est Bah.

Le pullo jaalaalo est connu pour sa bravoure. Le grand conquérant Koly Tengela Bah s’est beaucoup appuyé sur les Yaal dans ses guerres de conquête de territoire au Fuuta. Nous pensons que cette alliance entre Koli et les Yaal était loin d’être fortuite, car, la référence à « Tengela » laisse penser que ce dernier, lui-même, est relié au même ancêtre clanique « Yaladi».

En effet, la mention « Tengela » associe en réalité  deux termes :  « Ten + yal». « Ten » est un titre d’origine mandingue porté par un souverain  (rappelons que Koli Tengela, fondateur de la dynastie Koliyaaɓe, a une ascendance mandingue) ; « ten + yal » donne par une action d’assimilation: « Teŋgela » (voir plus loin notre analyse de la forme « yel » de « Yaladi »).

« Yaal galambo »

Le patronyme Yaal est souvent associé au qualificatif « galambo » qui renvoie au mot « galo » issu de la forme  verbale « al-ɗ-u-de » « être riche », qui dérive de la base « yal » de Yaladi. En effet, c’est l’affixation du marqueur de classe « -o » qui entraîne une initiale de forme occlusive dans le radical : yal + o = galo « riche ».

Cette richesse « galu », associée aux Yaalɓe, trouve sa justification dans le mythe de Caamaaba, avec le personnage Yaladi que beaucoup de pasteurs peuls considèrent comme leur ancêtre, il possédait un immense troupeau de bétail. Cette image de richesse, d’abondance est renforcée avec son fils Ilo à qui Caamaaba aurait  confié une bonne partie du troupeau de bovidés (Cf Hampate Bah), pour nous, il y a une corrélation évidente entre « Yal » et « galo ».

Les Yirlaaɓe avec « Ilo »

Cette relation de parenté à base clanique entre Yaal et Jallo se constate chez les Yirlaaɓe qui appartiennent le plus souvent aux clans Jallo et  Yaal. Leur arɗo porte le titre « Arɗo Ngiril », il est du clan Jallo. Or, nous remarquons que le titre « Ngiril », porté par le chef des Yirlaaɓe, dans sa construction, fait directement  référence à « Ilo », le frère jumeau de Caamaaba.

En effet, le mot « Ngiril », que nous décomposons de la manière suivante (ng-ir-il), est construit en référence à « Ilo », grâce au  redoublement du radical « il » en « ir-il » :
avec la première partie du radical « ir » qui comporte une dissimilation consonantique se traduisant par un changement phonétique de « l » en « r », alors que la deuxième partie du radical laisse clairement apparaître la forme « il » que l’on retrouve dans « Ilo ».  Quant à la variation affectant l’initiale consonantique du radical « ngir » / « yir », elle s’explique par le fait, qu’en pulaar, devant la voyelle antérieure « i », la palatale « y » peut aussi alterner avec la vélaire « g » ( ex. yitere« œil », gite « yeux », ngiton « petits yeux », alternance :  y, g, ng) .

Yelaɗi chez les jengelɓe

Selon l’historien Oumar Kane que nous citons : « les Jengelɓe se trouvent principalement dans le Jolof (au Sénégal). Ils regroupent  trois fractions : Geeli, PanaI et Namas. Ils portent pour la plupart le patronyme Kah.
Sur le plan linguistique, nous remarquons que le terme « Jengelɓe » ou « jengel » (au singulier) se découpe morphologiquement en  :
jen + gel + ɓe
Nous pensons que la formation du mot «  Jengelɓe» renvoie à la première fraction Geeli qui compose ce groupe, avec le radical « geel » issu de la base « yal » de « Yaladi », car, dans certains parlers fulɓe, on rencontre souvent la forme « Yelaɗi » comme substitut de « Yaladi ».

Le mot « Jengelɓe» est construit à partir du radical « yel » issu de la base « yal » de Yaladi. Ce radical est soumis au redoublement et apparaît sous la forme /yel-yel/. Ce redoublement s’accompagne d’une double alternance de la palatale « y » présente au début de chaque partie du radical.

En effet, dans la première partie du radical, « y » alterne dans l’ordre des palatales et se transforme en « j » ; tandis que dans la deuxième partie du radical, la palatale « y » alterne dans l’ordre des vélaires avec « g ». En effet, en pulaar, devant la voyelle antérieure  « e », la palatale « y » peut aussi alterner avec la vélaire « g », (ex. yertere, gerte) « arachide(s) ».

Ce processus morphologique, lié au redoublement du radical et aux alternances consonantiques, se présente comme suit :
« jel-gel »
La vélaire « g », présente à l’initiale dans la deuxième partie du radical, au contact de la consonne finale « l », assimile cette dernière en « n ». La nasale « n » est ici « hormogane », car, elle adopte le point d’articulation de la consonne voisine (à savoir « g ») et donc se prononce  « ŋ », d’où : [Jeŋgel] ou [Jeŋgelɓe]. Le radical « yel » est encore plus apparent dans la deuxième partie du radical où il se réalise sous la forme « gel ».

Nous pensons que c’est le même radical « yel », issu de la racine « yal » de Yaladi, qui sert à former les prénoms peuls : Gelaajo et  Yero (mais aussi le mot « jeloore » : marquage servant à identifier le bétail). C’est aussi cette même racine « yal », associée au marqueur de classe «-o  », qui donne «  Jallo  ». Parmi les Jengelɓe, on trouve aussi  des jalluɓe.

Le patronyme  Kah

Le patronyme Kah  rappelle  la fonction de « ngaynaaka  » associée à ce clan. Dans le mythe de Caamaaba, la fonction de ngaynaaka est symbolisée par Kumen génie détenteur de secrets et d’initiation aux traditions pastorales. Dans le terme « ngaynaaka », nous retrouvons la base « gay », également contenue 0dans le mot « ngaari » /ngay-ri/, qui symbolise le serpent mythique Caamaaba dans sa version « ngaari maayo ». Enfin, dans le terme « ngaynaa-ka », nous retrouvons surtout la marque « ka » formant le patronyme Kah, qui symbolise la tradition pastorale fulɓe, car Kah renvoie à Kumen comme Bah  symbolise  Caamaaba.

Le titre Fari

« Fari » est le titre porté par le Arɗo Jengel  de patronyme Kah.  Il fait référence à un autre titre, celui de « sadiga » d’origine manding ue. En effet, dans les langues mande, les variations de type « s » / « f ») sont dites facultatives, elles n’entraînent pas de différence sémantique.  De la forme « fadiga », on peut dériver le titre « Fari » et « Farba ».
Du mot « sadiga »,  on forme en pulaar le  verbe sataade ou le mot satiiɓe en référence au titre « satigi » porté par le chef Koliyaaɓe. Le titre « Sadiga » était porté par Jaaye Sadiga, le Laam termess le plus connu des Jaawɓe selon Kane.

Le patronyme Soh
« Soh » : origine mythique et symbolique

Les Fulɓe du clan Soh sont liés à l’animal totémique « sohre ». D’après Gaden (p. 179), il s’agit d’une « sorte de lézard à queue courte qui est tabou pour ceux du clan Soh ».
Linguistiquement, nous retrouvons la forme du patronyme « Soh » présente dans la racine du mot « soh-re », qui est l’animal totémique du clan.

Boɗeewal Soh

Dans la tradition fulɓe, Boɗeewal est l’ancêtre de toute la tribu des Woɗaaɓe, son yettoode (nom patronymique) est Soh au Sénégal. Il est appelé aussi Boɗeewal Makkama Soh. Nous pensons que « Makkama » correspond au titre « Magan » réservé à un initié dans la tradition mandingue. Le clan Soh est réputé proche des Soce (mot wolof pour désigner les mandingues). Ceci peut se comprendre, car les Soh font partie des fulɓe ferooɓe du verbe « fer-de » « se déplacer sur de longues distances », les premiers à pratiquer la transhumance et à ouvrir les routes migratoires, les mettant ainsi très tôt en contact avec des peuples différents. D’ailleurs, c’est le patronyme Soh, devenu Sow en wolof, qui donnera le mot « soow » « lait » (en wolof), sans doute, en référence à l’activité des fulɓe sippooɓe pratiquée par le clan Soh. Au Sénégal, toute la zone ferlo est associée à cette activité migratoire des pasteurs fulɓe. Dans le mot « ferlo », on retrouve la racine « fer ».

Les Woɗaaɓe

Il est courant de définir le mot « Woɗaaɓe » en faisant directement référence au mythe de Caamaaba avec le terme « woɗa » qui évoque « l’interdit » selon lequel Caamaaba ne devait pas être vu par une femme (ou une jeune fille non mariée, les versions diffèrent). Cette définition, bien que  majoritaire aujourd’hui, est cependant loin de faire l’unanimité. Elle demande certaines clarifications que nous souhaitons ici apporter.

«Woɗ» comme « couleur »

Nous remarquons, linguistiquement, que la formation même  de « Boɗeewal» renferme la racine woɗ, « rouge ». Or, en pulaar, le  « rouge », comme couleur, est associé à un intensif qui est « coy ». Ce dernier, évidemment, rappelle la forme du patronyme  « Soh », puisque « coy » sert aussi à désigner dans le Fuuta Halayɓe une fraction de Jah qu’on appelle « Jahjahɓe sooyru », du fait de leur appartenance qui les lie au clan Soh.

En effet, en pulaar, le mot « sooyru » est issu du qualificatif « sooy » (qui forme le verbe sooy-ɗ-ude) servantt à désigner le « brun » (obtenu par dégradation du « rouge »). Le radical « sooy » « brun » est obtenu à partir de la base « coy » associée au « rouge  intensif ».

« woɗa » comme « interdit »

En pulaar, le mot « sohre » renferme une autre signification correspondant au mot « vipère » (Voir Mamadou Niang, 1997, p. 92). A ce titre, il est associé à « un serpent venimeux » qu’on appelle « mboddi », redouté pour son caractère de « tueur ». Nous pensons que c’est précisément ce mot « mboddi » (même radical que « bon ») qui sert à former le mot « woɗa »  et le nom désignant la tribu Woɗaaɓe.

Le mot “woɗa”, en tant que ”interdit” associé aux “Woɗaaɓe”, renvoie par sa nature morphologique et par sa valeur sémantique, au terme “mboddi” « vipère ». Le serpent  “mboddi” ainsi que  le “sohre” comme  « lézard »  sont des substituts de Caamaaba.

Caamaaba, un mythe fondateur partagé

Le mythe de Caamaaba est partagé par d’autres peuples proches des Fulɓe. Chez les Wolof, on le retrouve dans les patronymes  Samb (Samba), Caam (ce patronyme est également présent chez les haalpulaar) . Ces deux patronymes sont contenus dans le radical formant le mot  « Caamaaba ». Ce qui en dit long sur la parenté linguistique qui existe entre ces peuples.

Au Sénégal, le nom de la ville de « Tamba » évoque un génie de l’eau qui  rappelle Caamaaba, laissant ainsi  penser que « Tamba » serait variante de « Samba ».

Le spectacle « simb » est une danse wolof associée à Caamaaba. Pendant cette danse, le public  scande : « Gaynde Njaay » en référence à « Njaajaan Njaay », l’ancêtre mythique des Wolof représenté à travers le symbole « Gaynde » « lion » (c’est aussi l’emblème de la République du Sénégal). Dans le mot « gaynde », on retrouve la racine « gay » formant le mot « ngaari »  qu’on associe au mythe de Caamaaba dans sa  version « ngaari maayo » des Sulbalɓe.
L’empire du Ghana (Gana) est d’origine soninke, sa capitale Kumbi saleh porte la marque de Caamaaba à travers son berger Kumen, car Kumbi = Kumba (kum + ba) qui associe Kumen et Caamaaba. Le terme « saleh » signifie « saint », il dérive du mot « saltige », chez les Serer, ce sont les gardiens du sacré. Le patronyme « Sal »  est porté au Fuuta.  L. Kesteloot (1985) nous apprend que le clan  Sal continue encore de nos jours à entretenir et vénérer le souvenir de Caamaaba, en particulier les descendants du  Laam Tooro.  En Gambie, le patronyme Sal se prononce Sallah.

Toujours, en Soninke, le serpent mythique Caamaaba a une autre dénomination qui est  : « thiyaba », où l’on retrouve le patronyme haalpulaar Sih.  Au Fuuta Tooro, il est courant de saluer une personne du clan Sih en référence l’ancêtre clanique Sawande (Savane), là aussi, on retrouve la racine « saw »  de Caamaaba.

Conclusion
Les fulɓe se répartissent dans de grands lignages qu’on appelle « leYYi », où l’on distingue les  : Jaawɓe (Jah), Woɗaaɓe (Soh), Ururɓe (Bah), Jengelɓe (Kah), Koliyaaɓe (Bah), Yirlaaɓe (Jallo) Yaalalɓe (Yaal)… Ces grands lignages (leYYi) se sont constitués au départ sur la base de structures claniques encore aujourd’hui reconnaissables à travers les noms patronymiques : JAH, JALLO, YAAL, BAH, SOH, KAH, DEM,… Ces patronymes sont constitutifs de l’identité des fulɓe, au sens où ils les relient à leurs ancêtres communs : Jaaye (Jah), Yaladi (Yaal, Jallo), à leur mythe fondateur : Caamaaba (Bah) et son berger Kumen (Kah), tous les deux symboliquement présents à travers les prénoms masculins (Samba et Demba), féminin (Kumba). La tradition pastorale fulɓe, fondée sur le ngaynaaka, est organisée autour de ce mythe fondateur. Il en va de même des notions d’appartenance établies dans le cadre  du jiidugal et du  denɗiraadgal. Ces notions relationnelles sont sacrées aux yeux des fulɓe. Elles fondent l’essence même des rapports régissant les individus au sein d’un même  groupe clanique ou inter clanique.

Les valeurs essentielles au pulaagu, comme celle liée à la notion de « kersa », du verbe « hers-ude », attitude qui consiste à éviter la « honte »  « gacce », traduit un besoin de pudeur qui renvoie symboliquement à cette image de Caamaaba fuyant le regard indiscret.

La division symbolique de l’espace, organisé en « Rewo » « Nord » et « Worgo » « Sud », trouve sa justification, aussi, dans le mythe de Caamaaba (cf O. Niang).

Dès lors, il nous paraît important  de reconsidérer les recherches sur l’histoire des  Fulbe  pour les inscrire davantage dans cette perspective où le mythe de Caamaaba semble être le point de départ de leur origine symbolique, patronymique, culturelle, sociale, comme l’avait déjà initié Hampaate Bah. C’est ce que nous avons essayé de démontrer dans le cadre de notre propos.

Niang Oumar
Société Linguistique de Paris



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